Douze ans après, un professeur reconnaît la femme qui l’avait pris pour cible. Le solde intimiste des années terroristes. On entre dans La Seconda volta en éprouvant le même genre de plaisir qu’aux retrouvailles avec un ami cher longtemps perdu de vue. Plaisir de retrouver sur un écran la langue, les voies, les rues italiennes […]
Douze ans après, un professeur reconnaît la femme qui l’avait pris pour cible. Le solde intimiste des années terroristes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On entre dans La Seconda volta en éprouvant le même genre de plaisir qu’aux retrouvailles avec un ami cher longtemps perdu de vue. Plaisir de retrouver sur un écran la langue, les voies, les rues italiennes ; plaisir d’un film mordant sur le politique, ce champ désuet et dévasté, quasiment évacué du cinéma depuis une quinzaine d’années ; plaisir de voir un film italien qui ne soit pas signé Moretti, même si l’auteur de Journal intime est ici fondamentalement présent, avec sa double casquette de producteur et d’acteur principal. Non content de renouveler le cinéma italien à lui tout seul, Moretti chaperonne ses jeunes collègues et, après Daniele Luchetti, il parraine aujourd’hui cette première fiction de Mimmo Calopresti, réalisateur de nombreux documentaires politiques pour la RAI.
Un professeur d’économie reconnaît par hasard la femme, ancienne terroriste, qui avait tenté de le tuer douze ans auparavant. Elle est en semi-liberté : elle travaille dans un bureau le jour, dort en prison la nuit. Lisa, elle, ne reconnaît pas le professeur Sajevo, son ancienne cible. Ils se revoient régulièrement, à l’heure de la pause déjeuner. Lui a toujours la balle terroriste logée dans le crâne, métaphore solide et irréductible de son refus d’oublier, de son incompréhension, de sa rage non cicatrisée, mais aussi lien indéfectible entre elle et lui ; elle traîne son ennui et sa déprime post-action entre refoulement de son passé violent et aspiration à la normalisation. Toute la tension et le mystère du film résident dans l’inversion du rapport entre le tireur et sa cible : douze ans après, c’est l’ex-terroriste Lisa qui avance à découvert, ne connaissant pas les cartes de l’autre ; et c’est l’ex-cible Sajevo qui progresse masqué, cachant son jeu à Lisa (mais pas au spectateur). Entre eux se joue toute une gamme de sentiments infinitésimaux amenant son lot d’interrogations. Sajevo va-t-il pardonner ? Va-t-il se venger ? Va-t-il changer de point de vue sur le terrorisme ? Est-ce qu’il la drague, est-ce qu’il la piège ? Lisa va-t-elle le reconnaître ? Est-elle sensible à son charme ? Qu’est-ce qui se noue entre eux ? Tout le film glisse subtilement sur ce terrain mouvant entre surgissement du passé politique, solde des comptes personnels et remise à zéro d’une nouvelle relation au présent. La Seconda volta défile mélancoliquement vers une irrésolution du passé terroriste, qui débouchera peut-être sur un présent pacifié. Après le temps des luttes et des masques idéologiques, vient le temps de se reconnaître en tant qu’individus. Au diapason de ce temps présent, La Seconda volta n’est pas Salvatore Juliano ou L’Affaire Mattei. Loin des épais dossiers pédagogiques façon Rosi, le film de Calopresti relèverait plutôt de la nouvelle sèche et dépouillée : une sphère minimalement romanesque, pleine d’ellipses et de zones d’ombre, délestée de procédés explicatifs ou psychologiques, où la matière politique ne serait plus qu’une toile de fond ouvrant sur diverses pistes fictionnelles, où les personnages seraient saisis dans toute leur complexité humaine plutôt que comme simples portemanteaux idéologiques. Dommage qu’à force de discrétion et de retranchements, La Seconda volta laisse un peu sur sa faim ; comme une œuvre trop timide dont on ne peut s’empêcher de penser que, dirigée par Moretti, elle aurait atteint une autre dimension.
{"type":"Banniere-Basse"}