La fuite d’un ado et d’un cheval sauvé de l’abattage. Une balade dans l’Amérique rurale touchée par la grâce des premiers Gus Van Sant.
Charley est un adolescent sensible et débrouillard. Depuis que sa mère s’est évanouie dans la nature, il est tant bien que mal élevé par un père fauché, plus préoccupé par ses conquêtes féminines que par l’éducation et même le simple bien-être quotidien de son fils. A 15 ans, il ne fréquente plus l’école et parvient à se faire embaucher comme palefrenier auprès d’un éleveur de chevaux de course qui, approchant de la retraite, les envoie les uns après les autres à l’abattoir. Lorsque la tragédie de trop frappe Charley, il kidnappe son cheval favori et prend la fuite à travers les déserts de l’Oregon, dans l’espoir de retrouver un semblant de foyer familial.
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Adaptation d’un roman de l’écrivain américain Willy Vlautin, La Route sauvage est le quatrième long métrage d’Andrew Haigh. Révélé avec Week-end, sublime mélo gay et indé sorti en 2012, ce réalisateur britannique a joui d’une notoriété nouvelle en 2014 avec sa série pour HBO Looking, avant d’être en compétition à la Berlinale en 2015 avec 45 ans, film cette fois-ci centré sur les vicissitudes d’un couple de retraités formé par Charlotte Rampling et Tom Courtenay (un Ours d’argent chacun pour leur prestation). Sélectionné pour la Mostra l’an dernier, La Route sauvage est servi par un intéressant casting composé de Charlie Plummer dans le rôle principal – sa performance y a justement été récompensée par le prix du meilleur espoir –, de Steve Buscemi dans le rôle de l’éleveur aussi véreux que bienveillant et de Chloë Sevigny dans celui d’une inattendue jockey girl.
Mais La Route sauvage n’est pas un film sur la relation entre un jeune homme et un cheval, ce n’est pas qu’un western contemporain ou un portrait steinbeckien de l’Amérique rurale, ce n’est pas non plus un coming of age movie, il s’agit plutôt d’une promenade buissonnière, d’une cavale à la fois désespérée et habitée par une inarrêtable pulsion de vie. Le film ne cède à aucun artifice, il se déploie inlassablement sur le territoire extrêmement restreint de l’intériorité de son personnage principal. Qu’il s’intéresse au troisième âge, à l’âge adulte ou comme ici à la jeunesse, Andrew Haigh fait preuve de la même acuité quand il s’agit de rendre compte de l’état intérieur tourmenté de ses protagonistes. Comme chacun de ses films précédents, La Route sauvage est plutôt le récit d’une quête simple, celle de l’altérité et du lien avec autrui.
Abandonné par sa mère, délaissé par son père et presque déjà désenchanté par l’existence, Charley cherche désespérément une forme de stabilité, un espace où il pourrait à la fois donner et recevoir de l’amour. Cet espace, il croit l’atteindre dans le milieu des courses de chevaux, au contact d’un étrange duo de parents de substitution (Steve Buscemi et Chloë Sevigny) et d’un cheval prénommé Pete. Mais, là encore, fausse piste, il sera déçu. Cette énième brisure intérieure ne passe pas, elle est la goutte qui fera enfin déborder le récit.
Au bout d’une heure, Charley emporte le film on the wild side. Ce changement de cap prend la forme d’une élégie douce-amère qui rappelle la poésie éperdue du Crin-Blanc d’Albert Lamorisse (1953). Comme dans ce film, l’horizon s’y limite à la tristesse d’un enfant, à sa relation avec un cheval et à leur errance dans de grands espaces. Mais loin d’être misérabiliste, cette élégie est d’une subtilité et d’une prévenance rares.
Au-delà de son infinie délicatesse, La Route sauvage est aussi le lieu d’une double résurrection ; celle du fantôme de River Phoenix en Charlie Plummer et celle d’un état révolu du cinéma de Gus Van Sant dans ce film d’Andrew Haigh. Grand admirateur du cinéma de son aîné, le réalisateur revendique l’influence de la trilogie Gerry, Elephant, Last Days sur ce film. On y retrouve un jusqu’au-boutisme à la fois white trash et survivaliste, dont le motif est le dos voûté d’un jeune homme traversant la vie. Ce jeune homme est ici incarné par l’excellent Charlie Plummer, choisi pour sa ressemblance avec l’aîné des Phoenix. Mais plus qu’une analogie physique, les deux acteurs partagent une disposition toute particulière à incarner la mélancolie, le rapport compliqué au père et l’abandon du corps et de l’âme dans les grands espaces entourant Portland.
Chacun à leur façon, My Own Private Idaho et La Route sauvage racontent la fascination d’un réalisateur pour un acteur amené à prendre le film sur ses épaules, à incarner un personnage en ruine, livré à lui-même. Les deux films se terminent d’ailleurs à l’identique, avec leur acteur au centre de la route. Mais si Gus laisse River allongé, prophétisant une vie dominée par l’aléa et la détresse, Andrew laisse Charlie sur ses pieds, enfin stabilisé.
La Route sauvage d’Andrew Haigh, avec Charlie Plummer, Steve Buscemi et Chloë Sevigny (G.-B., E.-U., 2017, 2 h 01)
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