Il y avait autrefois une torture nommée “supplice de la roue”. Un Bangladeshois astucieux, Morshedul Islam, a eu l’idée originale de traduire ce supplice au cinéma par une métonymie sonore : la roue qui grince. Pendant une heure cinq, une roue grince presque en continu et tient en éveil le spectateur stoïcien… La subtilité réside […]
Il y avait autrefois une torture nommée « supplice de la roue ». Un Bangladeshois astucieux, Morshedul Islam, a eu l’idée originale de traduire ce supplice au cinéma par une métonymie sonore : la roue qui grince. Pendant une heure cinq, une roue grince presque en continu et tient en éveil le spectateur stoïcien… La subtilité réside dans le fait qu’on ne sait jamais quelle est la roue qui grince. Voilà tout l’art d’un cinéaste roué qui, à l’instar d’un Tourneur reléguant l’horreur hors champ, dissimule cet élément diabolique au sein d’un plus vaste dispositif : un char à bœufs qui sillonne le Bangladesh. Islam est d’autant plus virtuose qu’il a su, avec une grâce coutumière aux cinéastes bangladinais, nous distraire du sujet central avec une parabole métaphysique, doublée d’une réflexion sur un problème de prophylaxie qui agite la société banglardéchoise : quelles mesures d’hygiène adopter en l’absence de services de pompes funèbres ? N’oublions pas que nous sommes dans un pays pauvre, mais pauvre… vous n’imaginez pas !
Donc, voilà deux malheureux qui parcourent la campagne ardéchoise avec leur carriole munie d’une roue qui fait huin huin huin… Soudain, ils avisent un attroupement et s’approchent. Horreur, un cadavre. Un médecin les hèle et les prie d’accompagner le trépassé à sa dernière demeure, un village éloigné. Peu enclins à devenir croque-morts, ils hésitent. Ils seront payés, promet l’homme. Les voilà donc partis avec leur barda. Huin huin huin… Pendant ce temps, le médecin se frotte les mains. Il les a eus. Car, au Bangladesh, se refiler des macchabées encombrants est une distraction très populaire, assez proche du jeu de cartes nommé « le Pouilleux », qui consiste à fourguer le valet de pique à son adversaire. Mais nos deux charretiers n’y voient que du feu. Après quelques heures de huin huin huin…, ils arrivent au village indiqué. Coup de théâtre : les villageois ne connaissent pas le défunt. Il y a sans doute méprise sur le nom du village, qui ressemble beaucoup à un autre. Voilà nos deux larrons repartis. Huin huin huin… Au deuxième village, ils se font jeter. On leur dit d’aller voir dans une localité voisine où quelqu’un a disparu. Et roule ma poule : huin huin huin… A ce stade, il est clair que Truc et Bidule resteront avec leur mannequin sur les bras. Ceux qui ont vu le sketch des Nouveaux monstres où Alberto Sordi fait tous les hôpitaux avec un moribond dans sa Rolls avaient pigé dès le début, mais bon. Au troisième essai, nos amis réalisent enfin qu’ils ont été possédés. Mais le corps commence à attirer les mouches, il faut s’en débarrasser. Là encore, ils font durer le plaisir et reprennent la route avec son cortège de huin huin huin… Désirant ensevelir décemment la dépouille, ils prient quelques pékins banglachinois de les aider. Chou blanc, on repart. Huin huin huin… Nouvel essai, cette fois auprès d’un imam, nouveau refus. Alors, ils prennent enfin les choses en main. Ils longent un fleuve. Huin huin huin… Vont-ils balancer le colis à l’eau ? Non ! A deux mètres du bord, ils commencent à creuser une tombe avec leurs mains avec une branche, ça serait trop facile ! Bon, ils enterrent Machin et pleurent de désespoir devant l’ingratitude du monde. Très beau, très édifiant. C’est pas La Roue que ça aurait dû s’appeler, mais La Condition humaine, tu vois le topo ?