Réédition en copie neuve et restaurée de “La Ronde”, classique absolu et indispensable du cinéaste viennois Max Ophüls (1902-1957), qui a accompli l’essentiel de sa carrière en France et à Hollywood. Une geste virevoltante sur la valse du désir et du plaisir, inextinguibles, éphémères et jamais assouvis…
Certains parlent d’un film comme d’un “ruban de rêves” (Welles ?). Pour Max Ophüls, c’était plus complexe et géométrique : La Ronde est un ruban de Mœbius, c’est à dire un récit clos sur lui-même qui revient à son point de départ à la fin. Ce célébrissime film de 1950 du cinéaste viennois par excellence ressort en copie parfaitement restaurée, concomitamment à la rétrospective que lui consacre la Cinémathèque française.
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Outre la figure du cercle, épousant le mouvement de la valse (viennoise), et l’image du manège, qui symbolise l’aspect cyclique et répétitif de la relation amoureuse, ce film où l’on voit des couples après et avant l’acte sexuel sur le mode du marabout-de-ficelle – une prostituée rencontre un soldat qui rencontre une bonne, laquelle rencontre un fils de famille, etc. –, fonde sa modernité et son audace dans l’apport d’Ophüls au matériau de départ. En l’occurrence, une pièce d’Arthur Schnitzler, qui fit scandale à sa publication en 1903. Elle était essentiellement conçue comme une suite de dialogues entre plusieurs couples amoureux reliés entre eux par le principe décrit plus haut. Mais Ophüls, qui a une folle passion pour les artifices du théâtre et du spectacle, a ajouté un dispositif sophistiqué à la trame initiale.
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Mise en abyme et dispositif virevoltant
Roi de la mise en espace, le cinéaste calque ses virevoltants mouvements de caméra sur les volutes musicales du compositeur Oscar Straus, et roi de la mise en abyme, il désigne clairement le film comme un film dès le départ. Le spectacle est initié, commenté, habité, dirigé par un marionnettiste incarné par le malicieux Anton Walbrook, qui guide et côtoie les personnages, participant même parfois à l’action.
Sa figure élégante et chantonnante est une transposition du meneur de revue du music-hall ou du Monsieur Loyal du cirque, et donc du metteur en scène. Procédé à la fois transparent et ostentatoire auquel Ophüls reviendra dans Lola Montès (et qui était déjà en germe dans d’autres films comme dans Lettre d’une inconnue, où parfois le personnage principal assiste de l’extérieur à une action dont il n’est pas partie prenante).
Autrement dit, Ophüls ajoute du rythme, de la profondeur, et de l’illusion visuelle à ces historiettes, qui deviennent une série de vignettes dans un plus vaste dispositif scénique, dont le meneur de jeu tire plus ou moins les ficelles (plus prosaïquement, il tourne la manivelle du manège). Cela va jusqu’à un effet digne de Tex Avery, où Anton Walbrook arrête net le film au moment d’une scène torride pour couper la pellicule et en extraire la partie trop osée.
“Le bonheur n’existe pas”, dit le comte
Après, on pourrait examiner en détail chaque saynète pour mettre en évidence la conception relativement amère et fataliste de l’amour selon Ophüls, résumée par une phrase définitive du comte incarné par Gérard Philipe : “Le bonheur n’existe pas”. On ne se donne pas, on se prête pour un instant, et on passe à autre chose, à une autre aventure. Une conception matérialiste assez en avance pour l’époque de la sortie du film (1950).
Le plus curieux reste la séquence du couple marié (Fernand Gravey/Danielle Darrieux) qui, contrairement aux autres, est filmé dans une posture très chaste, allongé dans des lits jumeaux, se donnant la main, et offrant une image moins cynique, ou du moins apaisée, de l’amour. C’est d’ailleurs la seule scène où un rapport sexuel n’est pas suggéré. Pure simulacre sans doute, puisque le mari moralisateur et hypocrite trompera sa femme avec une grisette dans l’épisode suivant. A laquelle le poète déclarera, quand il entrera en scène, qu’elle “résume d’un mot toute la tragédie du désir”. Mais s’il y a tragédie, on ne peut pas dire que le cinéaste s’en lamente. Il en joue surtout (en vrai cynique), en considérant ces gestes, ce rituel de séduction comme des figures piquantes, qu’il prend un malin plaisir à agencer, tout en traçant des formes splendides dans l’espace. Ophüls est un calligraphe qui s’ignore, un grand cinéaste abstrait.
La Ronde de Max Ophuls (Fr., 1950, 1 h 34)
Rétrospective Ophuls, jusqu’au 31 décembre, Cinémathèque française
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