La désagrégation subtile et insidieuse d’un couple d’artistes huppés d’Istanbul.
Le titre français de ce film turc peut donner l’impression d’un moment-clé, d’une découverte bouleversante, ou même d’une épiphanie. Pourtant, c’est un peu le contraire. S’il y a révélation – suspicion d’adultère révélée par une conversation téléphonique –, elle reste floue et n’a pas de conséquence manifeste dans la vie de ce couple de quadragénaires turcs très branchés. Leur relation continue à se déliter souterrainement, sans éclats.
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Doit-on s’empresser de comparer ce drame conjugal en sourdine à ceux d’Antonioni (type La Nuit, 1961), comme on l’avait fait pour certains films d’un autre Turc, Nuri Bilge Ceylan ? Oui et non, car Asli Ozge, la réalisatrice, pousse plus loin, vers l’absurde, son regard sur la modernité aliénante et aliénée.
Pas de trace de la réalité religieuse en Turquie
Ce drame sur la crise classique d’un couple d’âge mûr est exacerbé par son arrière-plan sociétal et décoratif. On est saisi par le jusqu’auboutisme des décors où évolue ce couple classieux – femme artiste conceptuelle et mari architecte. Appartement clinique, bureaux immaculés et restaurants aux grandes verrières, murs nus aux arêtes vives, mobilier à l’unisson. Au point qu’un énorme rocher posé sur un toit de verre – symbolisant pour la réalisatrice le poids et la menace du mari – pourrait aussi être un repoussoir, une représentation de la nature honnie.
Dans cet univers aseptisé, pas de trace non plus de la réalité musulmane du pays, aucune allusion religieuse. Ce phagocytage du récit par la modernité – corollaire de la froideur du couple – est parfaitement rendu par l’appartement futuriste, sur plusieurs étages, qui permet aux protagonistes d’être présents sans se voir. Ils circulent par un escalier hélicoïdal qui, vu en plongée, ressemble à un œil, et dont les marches métalliques résonnent constamment et produisent un son presque comique (on pense à Tati).
L’incertitude constitue en soi une forme de suspense
La satire, voulue ou non (enfin on l’espère), d’un certain élitisme mondain (galeries d’art, studios photo, immeubles et restaurant d’avant-garde), reste sous-jacente, à l’instar de l’écheveau de non-dits qui enserrent le couple dans un piège silencieux. Il faudra un tremblement de terre pour qu’un semblant de dialogue s’instaure, et que la situation, aussi incertaine (et inexpliquée) pour le spectateur que pour les protagonistes, progresse un peu. Cela, sans oublier quelques scènes somatiques bienvenues où le corps en dit plus que le dialogue policé.
La singularité de ce mélo aux allures de roman-photo chic réside dans son incertitude, dans sa rétention de l’information, qui constitue en soi une forme de suspense.
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