Le périple d’une actrice dans un Lisbonne mystérieux. Raffiné et beau.
La Religieuse portugaise est un film particulièrement fort et singulier. Comme l’est son auteur, Eugène Green. Après trois films “français” – une adaptation littéraire (Toutes les nuits, en 2001, d’après La Première Education sentimentale de Flaubert), un faux conte médiéval moyen-âgeux (Le Monde vivant, 2003), et un film politique (Le Pont des arts, 2004) –, le cinéaste déplace son cinéma à Lisbonne pour nous conter l’histoire d’une jeune actrice française d’origine portugaise (Leonor Baldaque, actrice révélée par Manoel de Oliveira, phénoménale) qui, à l’occasion d’un tournage (c’est le côté Le Mépris du film), découvre enfin le pays de ses ancêtres. Elle va tour à tour y rencontrer une religieuse mystérieuse, un enfant orphelin, le spectre d’un roi du Portugal, la grâce et un sens à sa vie.
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Il faut d’évidence un cinéaste comme Eugène Green pour donner sens et beauté à une telle histoire. Green est un chasseur pacifique, un révélateur de fantômes (les absents qu’on ne voit pas mais qui sont là, ceux qu’on voit sans qu’ils soient là) au sens fort du mot. Il réalise ici son film le plus accompli, ses plus belles prises. Grâce à une maîtrise impressionnante de son art et des outils qu’il s’est fabriqués pour atteindre son but : une capture somptueuse, large (des panoramiques à 360 degrés sur les hauteurs de Lisbonne), des couleurs et des lumières (dues à son chef opérateur habituel, Raphaël O’Byrne), une captation précise et exhaustive des sons (due à son ingénieur du son Vasco Pimentel). L’image et le son sont portés à un tel degré de tension, d’intensité et d’attention que le présent de l’enregistrement cinématographique rend soudain compte de l’épiphanie de chaque instant.
Mais ces deux outils ne seraient rien sans les deux autres : d’abord les acteurs – qui incarnent leurs personnages au sens propre du terme –, filmés très souvent face caméra, comme s’ils s’adressaient à nous. Ensuite la parole, qui, dans la grande tradition chrétienne, est action, création chez Eugène Green. Comme dans tous ses films, les comédiens font ici les liaisons entre les mots, léger décalage avec la réalité de notre langue qui nous place dans un état de perception et d’écoute extraordinaire.
C’est à travers ce dispositif somme toute très technique, artisanal et prosaïque, ce tamis esthétique savamment mis au point au fil des films que Green tisse peu à peu le filet qui va lui permettre de nous révéler l’invisible, de nous convertir peu à peu à un état de sidération purement physique, comme dans la scène proprement hallucinatoire où la religieuse et la jeune actrice ne semblent soudain ne plus faire qu’une, se superposer l’une à l’autre dans l’image. Et de nous laisser, au final, dans un état d’émotion incomparable.
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