Décédée le 21 juin dernier, la productrice Chantal Poupaud s’est éteinte à l’âge de 69 ans. Figure influente du cinéma d’auteur depuis les années 1970, elle était également de Melvil et Yarol Poupaud.
Chantal Poupaud, décédée hier, était une femme d’exception. À la fin des années 1970, elle débute sa carrière professionnelle comme attachée de presse de cinéma. Et quel cinéma !
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Des films de Marguerite Duras, Benoît Jacquot, Chantal Akerman, Lino Brocka, Aki Kaurismäki ou Wim Wenders. Une attachée de presse attachante. Ne se contentant pas d’informer les critiques de cinéma, mais de les rencontrer, de discuter pied à pied et parfois se mettre en rogne quand certaines réticences pointaient à la sortie d’une projection.
Côtoyer cette très belle femme aux allures de rockeuse chic, c’était l’assurance de goûter à la passion matinée d’intelligence. Lorsque j’étais critique de cinéma débutant, je lui déclarais à propos d’un film dont elle s’occupait que je n’y avais rien compris, elle répondît sourire aux lèvres : “C’est bon signe, non ?”
L’aventurière de la période adolescente
À la toute fin des années 1980 Chantal va s’adonner à la grande œuvre de sa vie. Sur le tournage de la Fille de 15 ans de Jacques Doillon, il lui vient à l’idée d’observer les très jeunes interprètes du film (dont son fils Melvil), car l’adolescence est un sujet qui a été peu ou mal traité au cinéma. Elle disait que c’est le temps de toutes les inquiétudes, de toutes les questions, de tous les tourments et de tous les espoirs aussi, liés à la fameuse “première fois”.
Dans la brasserie de son imaginaire, elle envisage alors non pas une seule fiction mais une série de films sur ce sujet aventurier. À la marge d’une fameuse chanson de Françoise Hardy, ce sera Tous les garçons et les filles de leur âge, neufs téléfilms coproduits par Georges Benayoun et Paul Rozenberg d’une part, et Pierre Chevalier d’autre part, à l’époque génial responsable de l’unité fiction dans la toute nouvelle Arte. Rédigé par Chantal Poupaud, le cahier des charges – “la bible” dans le jargon du cinéma — est à la fois précis et contraignant : chaque épisode dure environ une heure. Chaque cinéaste choisit le début, le milieu ou la fin d’une décennie entre 1960 et 1990. Chaque film contient une scène de fête, illustrée par la musique rock de l’époque choisie. La durée de tournage est de 18 à 23 jours. Les films sont en Super 16 et leur budget ne doit pas dépasser environ cinq millions de francs. Mais c’est justement la précision de ces contraintes qui va attirer neufs auteurs, André Téchiné en tête, ravi à l’en croire de composer avec une discipline qui le force à inventer des manières “économes” de faire du cinéma.
Une fascination contagieuse
L’accord et l’enthousiasme de Téchiné — qui réalise Le chêne et le roseau pour la série — va encourager d’autres cinéastes, pour la plupart réticents au principe du téléfilm, à se lancer dans l’aventure. À l’exception de Chantal Akerman qui signe Portrait d’une jeune fille à la fin des années 60 à Bruxelles. Ils sont jeunes et quasi débutants : Cédric Kahn (Bonheur), Patricia Mazuy (Travolta et moi), Claire Denis (US go home), Émilie Deleuze (L’incruste), Olivier Assayas (La page blanche), Laurence Ferreira Barbosa (Paix et amour), Olivier Dahan (Frères).
La série, que Pierre Chevalier préférait appeler une collection, est diffusée chaque vendredi sur Arte d’octobre à décembre 1994. Elle remporte un franc succès critique et public, accentué par la sortie en salles de trois d’entre eux rallongés au format d’un long métrage : Le chêne et le roseau d’André Téchiné, retitré Les roseaux sauvage (pluie de Césars), La page blanche de Olivier Assayas devenu L’eau froide, et Bonheur de Cédric Kahn transformé en Trop de bonheur. La jeunesse et l’excellence des acteur·rices n’est pas pour rien dans ce succès. Entre autres : Élodie Bouchez, Grégoire Colin, Benoît Magimel, Gaël Morel, Romain Duris, Samy Nacéri, Stéphane Rideau, Virginie Ledoyen. Une manière jeune ou rajeunie de faire du cinéma avec des jeunes.
Chantal Poupaud a ensuite eu le projet d’une autre série intitulée Toutes le femmes sont folles, destinée cette fois pour le cinéma. Le premier “épisode”, Le Septième Ciel de Benoît Jacquot, sort en 1997. Le film de François Ozon, Sous le sable, en fait aussi partie. Il n’y en aura pas d’autre.
Chantal Poupaud décide alors de se lancer dans la réalisation. Elle tourne son premier court-métrage en 2000, Maurice le mauricien, puis le formidable documentaire Crossdresser sur le monde interlope des travestis en 2010. Pourquoi ce sujet ? Elle nous confia alors : “Parce que nous sommes tous et toutes des travelos, parfois dans nos corps, toujours dans nos têtes”. La classe !
{"type":"Banniere-Basse"}