Pourquoi la salle ? C’est ce que nous avons demandé, de façon lapidaire, à une douzaine de cinéastes partout dans le monde. Ils et elles ont pris la peine de nous envoyer chacun un texte qui répond à la question.
La projection sur un écran plus grand que soi est-elle la condition inaliénable du cinéma ? Gus Van Sant puise ses métaphores dans l’exercice de l’ascension montagnarde. Joachim Trier avance que seul l’écran de cinéma permet ce miracle perceptif que constitue un gros plan, où chaque chose paraît infiniment plus vaste que dans la vie. Plus qu’à l’écran, d’autres s’attachent à la salle. Rebecca Zlotowski ou Arthur Harari parlent de cet érotisme particulier de se plonger dans le noir en commun pour vivre ensemble des expériences. Claire Denis parle de cette “solitude à côté du souffle des autres”. Ryusuke Hamaguchi va jusqu’à évoquer une transsubstantation : la salle est une chrysalide, elle dissout les contours du sujet individuel. Émerge alors un corps collectif à partir duquel on sortira transformés. Merci à elles et eux (et aussi à Xavier Dolan, Mia Hansen-Løve, Bertrand Bonello, Pedro Almodóvar) pour ces récits intimes, à la fois de spectateur·trices et d’artistes.
Parfois ce ne sont pas les spectateurs, mais les films qui sont orphelins de la salle. La Maman et la Putain est de ceux-là. Cela fait plus de trente ans que le film n’est plus l’objet que de consommations domestiques, liées à ses très rares diffusions télé, qui ont donné lieu à des circulations de VHS pirates puis à des mises en ligne sur le web. À partir du mois de juin, le chef-d’œuvre de Jean Eustache retrouve, 49 ans après sa sortie et son Grand Prix du jury à Cannes, le chemin des salles et de Cannes. C’est peu dire que cette réédition événementielle est une réponse en soi à notre question liminiaire.
Pourquoi la salle ? Pour revoir en plus grand que soi Alexandre, Marie et Veronika s’aimer et se déchirer trois heures trente durant. Ce florilège de réflexions poétiques de cinéastes, le récit de la résurrection de La Maman et la Putain, mais aussi une conversation entre Virginie Efira et Tahar Rahim sur leur art de comédien·nes, ou un long entretien avec David Cronenberg sur l’état du monde (en guerre) et du genre humain (enjoint de muter s’il veut survivre) comptent parmi les surprises de notre numéro spécial cinéma, en kiosque dès aujourd’hui.
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