Double piège“Je suis tombé dans les jeux vidéo en 1993 et je me suis vite demandé comment inviter leur langage au cinéma. J’ai joué à des jeux au gameplay élaboré, aux graphismes somptueux, mais qui, en tant qu’histoires, relevaient du rien. Je ne me posais donc pas la question d’une adaptation jusqu’à Silent Hill, qui […]
Double piège
« Je suis tombé dans les jeux vidéo en 1993 et je me suis vite demandé comment inviter leur langage au cinéma. J’ai joué à des jeux au gameplay élaboré, aux graphismes somptueux, mais qui, en tant qu’histoires, relevaient du rien. Je ne me posais donc pas la question d’une adaptation jusqu’à Silent Hill, qui était vendu comme un clone de Resident Evil, mais était autre chose, un jeu d’atmosphère, construit avec une grande attention aux détails psychologiques. Brusquement, tout faisait sens : il pouvait être adapté. Il y a alors deux façons de s’y prendre. On peut, comme le réalisateur de Doom, reprendre le titre et deux-trois vignettes, ce qui est totalement stérile
et mercantile. Mais il existe aussi un danger inverse : faire un film à l’usage des joueurs, ce qui est aberrant car ce sont deux médias très dissemblables. Le cinéma est un carrefour où tout peut s’engouffrer, les arts plastiques, l’architecture, la littérature, la peinture… L’idée était d’y introduire le langage des jeux vidéo, mais aussi de raconter une histoire, de faire un film qui ne soit ni une illustration, ni une utilisation mais un compagnon du jeu vidéo. »
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Expérience vécue
« Adapter un jeu, c’est d’abord mettre sur la table un carnet de voyage. Tu as passé des jours, des nuits, dans un univers qui t’a absorbé et que tu es capable de décrire comme un endroit où tu es allé. Chacun a sa façon de faire ce voyage : il y a ceux qui foncent, ceux qui explorent… Comment trouver le point de convergence entre tous ces gens qui ont la sensation légitime d’avoir le bon point de vue sur le jeu puisqu’ils l’ont vécu intimement ? J’ai alors invité deux réalisateurs-scénaristes-gamers, Roger Avary et Nicolas Boukhrief. On s’est posé la question des souvenirs qu’on avait en commun et on a construit le film à partir de cette mémoire collective. Après, on a pu faire notre boulot de cinéastes en élaborant une histoire sur ces points d’inflexion. »
Promiscuité
« La première fois que j’ai joué à Silent Hill, je n’ai vu aucun point de comparaison avec le cinéma. En réfléchissant, j’ai pensé à deux séquences de L’Echelle de Jacob (Adrian Lyne, 1991), mais le seul vrai rapprochement que je pouvais faire, c’est avec les livres de Clive Barker, qui propose exactement la même définition de l’horreur : pour lui, elle n’est pas une intrusion dans la réalité mais un terrain mythologique. Elle n’est pas cantonnée à un lieu, elle n’est pas un viol de la réalité, mais elle recompose le monde. Les rues de Silent Hill regorgent de créatures qui ne se cachent pas, des choses couinantes, grotesques, une faune qui peuple cet univers. Ce ne sont pas
des monstres au sens carnassier mais plutôt des sentiments oubliés, des restes d’histoires passées, des vestiges. Pour les représenter, j’ai travaillé avec des danseurs dans des costumes. L’une des grandes forces du jeu est d’imposer la créature par sa promiscuité et non par son danger. Si l’on voulait garder cette promiscuité, il fallait que la créature soit devant les actrices. »
Intérêts communs
« Akira Yamaoka, le producteur des deux derniers jeux, a toujours gardé un œil sur le film. Cela lui plaisait que, tout en restant scrupuleusement attaché
au concept de base, j’ajoute des idées au pot commun. Un jour, il m’a dit qu’un Silent Hill 5 coûterait au moins 25 millions de dollars et que mon film tombait à point nommé pour l’aider à les obtenir. Konami, éditeur de jeux, n’a pas les moyens de financer tous ses développeurs à cette hauteur-là. Le prochain Metal Gear Solid coûte 50 millions… En ce moment, on est en pourparlers pour un éventuel Silent Hill 2 tout en discutant avec Capcom, autre éditeur, de l’adaptation d’un autre jeu, tiré d’une légende japonaise.
Et Capcom et Konami nous ont dit la même chose : à l’avenir, ils voudraient demander au producteur du film de participer au financement du jeu suivant.
Ils sont dans une situation délicate et le cinéma pourrait leur apporter un peu d’oxygène. C’est pour cela que le film est attendu, non seulement par le public mais aussi par l’industrie, du jeu comme du cinéma, qui attend de voir si un pont commercialement viable existe entre les deux médias. »
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