Avec un essai très réussi, Timothée Gérardin revient sur la déjà riche filmographie de Christopher Nolan, de « Following » à « Dunkerque », pour étudier les possibles qui l’animent.
« Pour ceux qui sont réveillés, il n’y a qu’un seul et même monde. » Ce fragment du philosophe grec Héraclite ouvrant l’essai que le critique Timothée Gérardin consacre à Christopher Nolan illustre parfaitement le cinéma du réalisateur d’Inception. Après l’ouvrage d’Erwan Desbois sur J.J. Abrams publié à l’automne, les excellentes éditions Playlist Society abordent l’œuvre d’un autre cinéaste qui a su s’imposer comme un auteur clé du cinéma américain de ces dernières années.
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Ce passionnant essai, nommé La Possibilité d’un monde, montre comment la question des mondes et des échelles anime le cinéma de Nolan. Lui, qui a débuté très modestement en fondant, alors étudiant à l’University College de Londres, un atelier de fabrication de courts métrages avec sa future femme et productrice Emma Thomas. Il y a réalisé, avec peu de moyens, son premier long métrage, Following, en 1998, qui porte en germe, comme l’analyse Timothée Gérardin, bon nombre des motifs (le double, le jeu, les objets) que l’on retrouve dans ses films suivants. Comme l’impression que tout était là dès le début, démonstration de l’extrême cohérence de la filmographie de Nolan. En vingt ans et dix films, il a exploré des problématiques qui se sont nourries entre elles, et a interrogé, par des récits très élaborés et par le spectaculaire, le rapport de l’homme au réel.
Un cinéma immersif
Christopher Nolan a imposé sa signature à Hollywood, tout en étant à contre-courant autant du cinéma numérique que d’un cinéma pop et ostensiblement cool. Sa trilogie Batman « so serious », pour reprendre l’expression du Joker incarné par Heath Ledger, témoigne bien de ce décalage, elle qui n’a pas grand-chose à voir avec les différentes productions Marvel actuelles. Il a conquis le public en promouvant un cinéma fait à l’ancienne, dont la modernité reposerait avant tout sur une volonté d’immersion, que montre bien son intérêt pour l’IMAX. Un succès qui lui a permis de réaliser un film aussi abstrait que son dernier en date, Dunkerque, film quasiment muet, recourant à trois échelles temporelles et spatiales, avec un montage alterné pour tenir le spectateur en haleine.
Nolan accorde, d’ailleurs, une grande place au spectateur dans la conception de ses films. Il l’invite à jouer, en élaborant des systèmes complexes, et le soumet à l’illusion et à la tromperie visuelle, comme le font les magiciens du Prestige. Mais ce jeu ne se fait jamais au détriment d’une véritable explication des enjeux narratifs et de la vie des personnages, pour ce cinéaste qui accorde beaucoup d’importance à la transmission.
L’humain d’abord
A travers la sophistication d’une écriture et d’un montage éclaté, Christopher Nolan crée un cinéma de la sensation, où s’illustre également une réflexion sur la véracité des images et sur la technique. Il est aussi le lieu du mélange des genres, troublé par l’irruption du mélodrame dans l’action spectaculaire, comme dans Inception et Interstellar. Avec cet essai, Timothée Gérardin montre que le cinéma de Nolan, loin de se baser uniquement sur la conception complexe de systèmes, laisse une grande place à l’humain dans une réflexion anthropologique sur la condition humaine.
Christopher Nolan, La Possibilité d’un monde de Timothée Gérardin, éditions Playlist Society (2018)
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