Un couple de saltimbanques recueille une fillette abandonnée dans la banlieue romaine. Beau et fragile comme un film amateur idéal.
D’abord on ne voit qu’une crinière flamboyante – celle du personnage principal, Patty, quinquagénaire aux cheveux roux –, qui jure avec la grisaille suburbaine. Un film simple, élémentaire. Enfance de l’art, art de l’enfance.
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Le sujet, c’est la “pivellina” du titre, une fillette de 2 ans abandonnée dans un parc désolé de la banlieue romaine, recueillie par Patty et Walter, couple de saltimbanques conjuguant dénuement et générosité.
Ils vivent dans un phalanstère nomade composé de caravanes avec quelques voisins, dont Tairo, un adolescent qui va servir de grand frère attentionné à la petite, nommée Asia.
Assez proche des origines, c’est-à-dire des frères Lumière, mais aussi de la grande époque du cinéma d’amateur familial, les années 1970, qui prit son essor après l’apparition du super-8, La Pivellina tranche avec la froideur clinique et saccadée de la vidéo numérique, qui a fait perdre au cinéma sa matière, son velouté et sa chaleur.
Ce film, qui reste constamment à la frange du documentaire (dont sont issus les deux réalisateurs), a été tourné en super-16. Ça fait toute la différence. Le 16 mm a une présence, une densité, incluant les rayures de la pellicule, qu’on commence à regretter car c’était l’essence du cinéma.
Caméra portée, priorité au plan-séquence, pour suivre pas à pas, comme dans un film d’amateur idéal, les activités ordinaires d’une famille éphémère constituée par le couple, le jeune voisin et la petite Asia au charme inouï.
Un film à hauteur d’homme, à hauteur d’enfant, dont l’équipe technique, symétrique aux acteurs non professionnels, comprend en tout et pour tout Rainer Frimmel (caméra) et Tizza Covi (son). Une Italienne et un Autrichien, comme les comédiens-saltimbanques Patrizia Gerardi et son compagnon Walter Saabel.
Certes, la dramaturgie est minimale, mais c’est tant mieux. Avec un tel sujet, on pouvait facilement tomber dans le cliché lacrymal. Une histoire d’enfant trouvé, ça peut se prêter à toutes les dérives dixneuviémistes (au sens hugolien) possibles.
On imagine ce que Pialat aurait pu faire avec de telles prémisses. On se doute comment un Ken Loach aurait exploité la séquence où deux policiers en civil viennent inspecter le campement.
On s’attend à ce qu’ils découvrent le “pot aux roses”, qu’ils accusent Patty de kidnapping (ce qui n’est pas le cas). Mais le suspense reste à blanc, et le potentiel climax dramatique se désamorce très sobrement.
On déjoue le mélo pour rester dans un naturalisme de bon aloi, plus neutre, mais plus vrai aussi, et peut-être plus humain. Focalisé sur l’enregistrement direct, le film n’a pas d’intention moraliste ou politique, si ce n’est l’acceptation de la différence sociale.
Chaque scène n’est pas destinée à nourrir un quelconque engrenage romanesque ; elle reste dans un équilibre précaire entre réel et fiction. Pas de malheur, mais beaucoup de modestie et de vérité dans cette belle chronique de la zone qui reste un objet solitaire, une magnifique scorie dans un cinéma italien devenu trop lisse.
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