Les portes de la perception. La Neuvième porte laisse entrevoir le rapport paradoxal qu’entretient Polanski avec la démonologie ainsi que sa relation d’amour-haine avec l’Amérique. La Neuvième porte signale le retour aux affaires de Roman Polanski. Si ce thriller ésotérique n’égale pas Répulsion ou Rosemary’s baby, c’est au moins un plaisant film d’aventures à l’ancienne, […]
Les portes de la perception. La Neuvième porte laisse entrevoir le rapport paradoxal qu’entretient Polanski avec la démonologie ainsi que sa relation d’amour-haine avec l’Amérique.
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La Neuvième porte signale le retour aux affaires de Roman Polanski. Si ce thriller ésotérique n’égale pas Répulsion ou Rosemary’s baby, c’est au moins un plaisant film d’aventures à l’ancienne, un divertissement qui fonctionne bien et qui porte la marque personnelle de l’auteur du Bal des vampires. La Neuvième porte est fondé sur une matrice bien connue des amateurs de fiction du monde entier, celle mise au point par Hitchcock au cinéma et par Hergé en bande dessinée, peaufinée par Perez-Reverte en littérature populaire (La Neuvième porte est adapté de son Club Dumas) : un homme ordinaire se trouve plongé à son corps défendant dans un mystère qui le dépasse et le menace ; pour s’en sortir, il est amené à prendre lui-même les choses en main. Johnny Depp incarne donc ici un dealer de livres anciens, Dea Corso, qui s’intéresse aux reliques uniquement pour leur valeur monétaire. Un jour, l’un de ses plus riches clients, fan d’ésotérisme et de littérature démonologique, lui demande d’enquêter sur un livre rare. Corso accepte la mission par pur intérêt financier. Evidemment, petit à petit, il va se prendre de passion pour l’objet de son travail, transformer son enquête en quête tout en risquant de plus en plus sa vie.
On reconnaît là aisément la grille de films comme La Mort aux trousses mâtinée d’albums comme Le Secret de la Licorne. Mais bien que l’on se trouve en terrain fictionnel connu, Polanski réussit à maintenir l’attention du spectateur quasiment de bout en bout : les comédiens sont convaincants, le parcours du héros (et du scénario) avance, bouge et rebondit de lieu en lieu à un rythme soutenu, et les signes énigmatiques de l’ésotérisme exhalent leur suc à suspens tout au long du film. Polanski a l’intelligence de retenir le mystère le plus longtemps possible, de ne le dévoiler que dans les dix ou quinze dernières minutes du film. Ces dernières minutes sont d’ailleurs les plus décevantes, car les réponses sont moins passionnantes que les questions, le McGuffin n’est jamais excitant en soi mais seulement pour les aventures qu’il suscite.
Mais La Neuvième porte est aussi un film de Roman Polanski et d’abord, par son rapport compliqué et revanchard à l’Amérique. Le cinéaste, qui n’a toujours pas le droit de mettre les pieds sur le territoire américain, y situe pourtant une bonne heure de son film. La lecture de la relation tordue entre Polanski et les Etats-Unis peut se prolonger à travers son personnage principal et les péripéties que le réalisateur lui inflige. La Neuvième porte est une nouvelle déclinaison du suspens esthétique hitchcockien analysé par Jean Douchet, et Corso un nouvel avatar du Kaplan personnage/spectateur/metteur en scène de La Mort aux trousses. Mais Corso comporte une variante bien polanskienne : c’est un Américain chahuté en Europe. Le mouvement interne de La Neuvième porte pourrait alors se lire ainsi : un Américain acculturé, cynique et vénal est parachuté en Europe, terre d’Histoire et de Culture ; là, il est quelque peu bousculé, sadisé (comme tout personnage polanskien qui se respecte), mais surtout, il y apprend que le véritable prix des livres réside dans leur contenu plutôt que dans leur cote boursière, que la littérature a une âme et n’est pas sans risque. En somme, ce film explique secrètement aux Américains que la littérature, l’art et l’histoire ont une essence profonde qui ne se résume pas à une simple cotation en dollars.
La Neuvième porte baigne dans un univers ésotérique auquel on n’est pas obligé d’adhérer. Mais on peut aimer Dreyer ou Rossellini sans croire aux miracles. Polanski lui-même ne croit pas à Satan. Pourtant, il a suffisamment payé dans sa vie et dans sa chair pour savoir que d’autres y croient violemment et, de ce point de vue, La Neuvième porte, sous ses airs de fiction détachée et sans conséquences, contient la marque profonde et paradoxale d’une trace autobiographique indirecte.
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