Le réalisateur français Claude Miller est mort mercredi. Il avait 70 ans.
C’est dans l’ombre bienveillante de François Truffaut qu’éclot le cinéma de Claude Miller. Avant, il avait étudié à l’Idhec, débuté comme assistant-réalisateur dans un grand écart acrobatique entre Marcel Carné (Trois chambres à Manhattan) et Godard (Week-end). Mais c’est auprès de Truffaut, comme assistant puis directeur de production, qu’il s’insère dans une famille de travail. Il apparaît même, grand garçon dégingandé et frisotté, dans L’Enfant sauvage (1970).
De Truffaut, il hérite à ses débuts d’un certain goût pour la description fiévreuse de passions tortueuses (La Meilleure Façon de marcher, Dites-lui que je l’aime), un talent pour décrire les tergiversations de l’adolescence (L’Effrontée) – qui lui fait même adapter un scénario non tourné du cinéaste (La Petite Voleuse) –, et aussi le désir de s’approprier une place au centre du cinéma français, conciliant succès public et cinéma personnel.
Cette place, il ne l’occupera que de façon intermittente, le succès n’étant pas toujours au rendez-vous et, plus grave, l’expression personnelle non plus. Le meilleur de son œuvre tient dans les quinze premières années. Notamment parce qu’il sait donner des rôles forts à la nouvelle génération de comédiens qui déferle dans le cinéma français post-68.
Patrick Dewaere fascine en moniteur veule et beauf, sadisant un jeune homme sensible (Patrick Bouchitey) confusément amoureux de lui (La Meilleure Façon de marcher, 1975) ; Miou-Miou et Depardieu s’exaltent dans le mélodrame baroque (Dites-lui que je l’aime, 1977).
Avec les années 80, c’est à la génération précédente que s’attelle cet excellent directeur d’acteurs: Lino Ventura et Michel Serrault jouent au chat et à la souris dans Garde à vue (1981). Dans ce troisième film transparaît son attachement pour un cinéma antérieur à la Nouvelle Vague, celui d’un cinéma de studio, arcbouté sur des scénarios très ciselés et truffés de mots d’auteurs (signés Michel Audiard) où la mise en scène, certes brillante, tient d’élégant écrin.
Le film suivant, Mortelle randonnée (1983), toujours scénarisé par Audiard (mais aussi cette fois par son fils Jacques), articule de façon un peu post-moderne, une certaine tradition de film noir héritée des années 50, avec sa pléiade de seconds rôles pittoresques, son pessimisme post-Simenon et le maniérisme visuel glacial des années 80, où chaque plan hésite entre l’esthétique publicitaire et la série de mode. D’un côté, la roublardise de l’Œil (c’est ainsi que se nomme Serrault dans le film) et de l’autre la désincarnation du look, génialement figurée par Isabelle Adjani, fascinante mannequin transformiste multipliant les perruques, les costumes et les lunettes noires.
Après ce beau film théorique, Claude Miller signe son film le plus limpide, le plus radieux, le plus sensuel, qui devient très logiquement son plus grand succès : L’Effrontée (1985). Dans les bouderies de Charlotte Gainsbourg, sa grâce gauche d’adolescente et ses sourires rares mais assassins, Claude Miller trouve une inspiration nouvelle, qui se prolonge dans le film suivant La Petite Voleuse (1988).
http://www.youtube.com/watch?v=ftDe5aFKyUQ
Après la désertion de Charlotte Gainsbourg, la grâce fuit son cinéma. Il échoue à rééditer la même opération avec Romane Bohringer (L’Accompagnatrice, 1992), se perd dans des gauloiseries post-Blier (Le Sourire, 1994), adapte Emmanuel Carrère (La classe de neige, 1998) et Ruth Rendell (Betty Fisher…, 2000), Philippe Grimbert (Un secret, 2007), qui lui vaut son dernier grand succès commercial.
http://www.dailymotion.com/video/x9ahg1
De ces deux dernières décennies, on isolera deux films injustement : d’abord La Chambre des magiciennes (2000), où Anne Brochet campe une étrange malade, accompagnée dans son déréglement par une caméra vidéo tressautante et folle façon Dogma ; puis Je suis heureux que ma mère soit vivante, coréalisé avec son fils Nathan, son film le plus tendu et habité depuis longtemps, relatant la rencontre d’un garçon abandonné à sa naissance (Vincent Rottiers) avec sa mère (Sophie Cattani).
Bien que malade, il venait de terminer un nouveau film, adapté du Thérèse Desqueyroux de Mauriac avec Audrey Tautou et Gilles Lellouche. Il a été emporté par un cancer à l’âge de 70 ans, le 4 avril.