En ramenant à la vie une momie, Universal exhume ses fantômes de cinéma dans un blockbuster tortueux.
« Dès qu’il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre.” L’un des cartons les plus célèbres de l’histoire du cinéma, issu du Nosferatu de Murnau, plaçait le registre de l’horreur à cheval entre deux mondes, celui des vivants et celui des morts. Une zone interlope où l’enveloppe fragile d’un réel craintif se fendait de mille déchirures, comme autant de passages d’où émergent les créatures innommables qui hantent nos nuits, du moins celles des personnages.
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Car le spectateur, lui, peut nommer chacun de ces monstres, agglomérés à la culture populaire depuis les penny dreadful et la littérature victorienne jusqu’aux productions Blumhouse (Paranormal Activity, Ouija…). Loup-garou, vampire, homme invisible. Momie.
Universal ouvre à nouveau la boîte à cauchemars
Dans les années 1930, la major Universal a donné une première enveloppe cinématographique à ces aberrations populaires, avec comme inoubliables visages ceux de Béla Lugosi ou de Boris Karloff. Près de quatre-vingt-dix ans plus tard, le même studio ouvre à nouveau la boîte à cauchemars, d’où émergent en premier lieu les traits connus – malgré leur état de décomposition avancée – de la dépouille égyptienne tressautant encore de vie après trois millénaires passés dans un sarcophage.
En préambule du film, les lettres chromées qui orbitent autour du globe terrestre, marque de fabrique de la firme, se retournent pour présenter un envers rougeoyant et évocateur : à l’heure de l’Upside Down de Stranger Things et du retour de la Black Lodge de Twin Peaks, la première pierre du Dark Universe, l’univers étendu monstrueux d’Universal, est posée.
Empêcher les ténèbres de se répandre sur le monde
Au beau milieu du désert irakien, des troupes d’élite américaines découvrent un tombeau égyptien. Nick (Tom Cruise), militaire et trafiquant à ses heures perdues, active un mécanisme qui ramène à la vie l’âme damnée qui l’occupe, et qu’une séquence antico-kitsch identifiera comme une princesse égyptienne (Sofia Boutella) enterrée vivante pour cause de collusion avec Seth (ou le Diable, ou le Mal, selon la convenance).
Au même moment, des travaux ferroviaires londoniens butent sur une crypte abritant de nombreux cadavres de templiers. Les deux exhumations sont connectées, et Nick, accompagné de la scientifique Jenny, va devoir empêcher les ténèbres de se répandre sur le monde. C’est sur ce canevas classique, et au fil d’une mise en scène efficace mais peu inspirée, que le réalisateur pique le premier point d’un tissu cinématographique qui s’enrichira de versions contemporaines de tous les monstres précités.
Une triple et fascinante momification
Mais la part la plus fascinante de l’entreprise réside dans sa propension à multiplier les variations sur le motif de l’exhumation : forage matériel du sable irakien ou de la terre londonienne, de l’image numérique qui s’abime en un vortex d’effets de synthèse, de la peau aux plaies béantes de sa momie nouvelle génération.
Un geste violent qui dessine en creux une triple et fascinante momification : celle de la momie sans repos, celle du cinéma hollywoodien des débuts de son âge d’or, et, plus troublant, celle de Tom Cruise, éternel golden boy dont le physique défie le temps, mort-vivant de cinéma au faciès de bouffon rieur et d’éternel enfant.
La Momie d’Alex Kurtzman (E.-U., 2017, 1 h 51)
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