Le dicton veut que comme on fait son lit on se couche. Tant mieux, car La Maman et la Putain est le film qui nous a appris à faire (et défaire) notre lit. A entendre les femmes, à vouvoyer ceux que l’on aime, à les louvoyer peut-être, à vomir avec classe, en tout cas à […]
Le dicton veut que comme on fait son lit on se couche. Tant mieux, car La Maman et la Putain est le film qui nous a appris à faire (et défaire) notre lit. A entendre les femmes, à vouvoyer ceux que l’on aime, à les louvoyer peut-être, à vomir avec classe, en tout cas à écouter Fréhel au petit matin avant d’aller dans les cafés pour y parler trop et sombrer dans un ridicule un tantinet imbibé. C’est tout simplement le plus grand film du monde, et du reste le premier qui a ce courage de céder aux femmes une place plus du tout assumable. Eh oui, l’homme qui pleure reste la grande affaire du cinéma des années 70, et la femme qui rend le fétiche de ce film scandaleusement long et incroyablement beau, d’une noblesse écœurante pour un Cannes 73 bourgeois mais libéré sur lequel crache ce « texte de feu », l’un des plus beaux de la langue française (quelque chose entre Proust, Bataille et Leiris).
La mise en scène d’Eustache tient pleinement de la grâce. En quatre heures de souffle, il s’agit d’apprendre à déambuler dans la rue : c’est l’attitude faite film d’une contemplation sereine et précise de ce que doivent être les après-midi lymphatiques et snobs et des nuits blanches complices et féminines. Voici des îlots de lumières et de soirs. Il était le génie pur du cinéma français. Nous sommes à jamais inconsolable de son suicide. Il était le Truffaut exhibitionniste et innocent des années de poudre et Alexandre, son Doinel aux enfers. Plus que jamais livré à la mélancolie d’un temps perdu, La Maman… est pour ainsi dire devenu un film en costumes : la Coupole est déserte, les Deux Magots livré aux touristes, le Mahieu est un snack et le Rostand a dévisagé sa fausse terrasse. « Ne faites pas cette tête, la vie est belle, nous dit Veronika, regardez ce ciel horrible. » Oui, regardons à en crever dans notre orgueil Alexandre, ce vieil amant merdique et emphatique se masquant derrière les mots et écoutons d’une traite Veronika recevoir le film comme un poison pour se sevrer de cette connerie de couple moderne, de ces histoires de cul qui la font chier un maximum. « Quelle importance, tremper son sexe dans une eau ou dans une autre/Mais ça fait si mal. » Tout le film est ainsi nu et plus que jamais pudique, clinique et blessé, dégueulant à voix blanche le droit de se contredire et de s’en aller. Chef-d’œuvre absolu.
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