Erudite et inspirée, la somme de Francis Lacassin nous restitue un héros que le cinéma a bien moins servi que la bande dessinée. Le cinéma a traité Tarzan de manière honteuse. Pour quelques rares réussites (Tarzan l’homme-singe de W. S. Van Dyke, 1932, le meilleur de la série piteuse avec Johnny Weissmuller), combien d’humiliations du […]
Erudite et inspirée, la somme de Francis Lacassin nous restitue un héros que le cinéma a bien moins servi que la bande dessinée.
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Le cinéma a traité Tarzan de manière honteuse. Pour quelques rares réussites (Tarzan l’homme-singe de W. S. Van Dyke, 1932, le meilleur de la série piteuse avec Johnny Weissmuller), combien d’humiliations du héros, de grotesques reniements, de falsifications éhontées ? Et ce n’est pas le dernier dessin animé de chez Disney qui contribuera à relever le niveau… Tout à sa juste colère, l’infatigable défricheur qu’est Francis Lacassin est un peu trop gentil avec le Greystoke de Hugh Hudson (1984, avec Christophe Lambert), trop décoratif et pas assez inspiré pour être vraiment convaincant, même s’il est vrai que Hudson a eu au moins le mérite de revenir au personnage créé par Burroughs au lieu d’en faire un ridicule pantin de celluloïd. Cette différence d’appréciation mise à part, La Légende de Tarzan est une somme, une belle réflexion sur le mythe en même temps qu’une très érudite synthèse de ses innombrables avatars. Du Tarzan, tout le monde en a mangé ou en mangera, souvent sous des formes indigestes, mais personne ne sait mieux que Lacassin discerner les véritables génies de la cohorte des tâcherons et des imposteurs.
Lacassin commence par rendre justice au créateur, au démiurge qui finira par perdre le contrôle de sa créature, Edgar Rice Burroughs. Avec précision et faconde, il raconte comment Burroughs a été très vite dépassé par le succès, sommé de fournir une suite à une aventure qu’il avait imaginée unique (Tarzan of the apes, publié en 1912), puis amené à faire de Tarzan un héros-vecteur au sein d’une imagination luxuriante et frénétique, à le précipiter chez les croisés, dans la préhistoire, chez les hommes-fourmis, au cœur de la Terre et jusque dans l’Empire romain. « Pour se délivrer du fardeau de la chronologie, des impératifs de la logique, du souci de la vraisemblance, Burroughs largue les amarres du monde réel. Au mythe de flotter à sa guise sur l’océan de l’imaginaire, au gré des courants successifs et contradictoires. » Burroughs n’écrivait pas ses livres, il les enregistrait ou les dictait après les avoir conçus, retrouvant ainsi la geste et la magie du conteur, et s’exposant au mépris des sots pour la littérature populaire. Lacassin lui restitue tout son génie de mélodramatique embarqué jusqu’aux confins du délire proliférant.
Magnifiquement illustré, le livre fait la part belle aux meilleurs serviteurs du mythe de Tarzan, à ces illustrateurs et dessinateurs qui ont su l’incarner bien mieux que ne l’a fait le cinéma, qui tient ici le rôle du traître sans remords ni pitié. Si les formidables trouvailles plastiques d’un Burne Hogarth sont passées à la postérité, Lacassin rend un hommage mérité à Russ Manning, le meilleur successeur du maître et l’ultime grand dessinateur de Tarzan. Mais c’est aussi en compilant les « Tarzanides » (usurpateurs et parents pauvres) et toutes les méchantes représentations du héros absolu, puisqu’il s’est dissout dans notre inconscient collectif, au risque de se perdre, que Lacassin nous restitue la jeunesse de Tarzan, son indestructible puissance de fascination.
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