Au-delà du pastiche tatillon des films musicaux hollywoodiens classiques, l’étude très fine et vraiment émouvante du cycle d’une histoire d’amour.
La La Land est une utopie, un lieu magique qui par définition n’existe pas, et où les rêves se déploient dans un imaginaire a priori sans limites ; c’est aussi le surnom ironique donné à Los Angeles, L. A., l’usine à rêves… La première perfection de ce film qui en dévoile un certain nombre, c’est donc son titre, puisque son réalisateur, Damien Chazelle, n’y raconte rien d’autre que la quête de ce lieu, et ce qu’il en coûte pour y poser le pied.
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Ryan Gosling et Emma Stone y jouent Sebastian et Mia, jazzman virtuose mais confidentiel et wannabe actrice, qui plusieurs fois se croisent et s’ignorent dans un L. A. chimérique, hors du temps, avant de tomber amoureux et de tenter de vivre, ensemble, leurs rêves.
“Where dreams come true”
Perfection, là encore, du casting, puisque les deux comédiens, qui en sont à leur troisième collaboration (après Crazy Stupid Love et Gangster Squad), respirent la complicité tout en dégageant une forme de proximité et de simplicité qui pousse à l’identification. Par ailleurs, Gosling, ne pas l’oublier, a commencé sa carrière au Mickey Mouse Club, “where dreams come true” ainsi qu’il est écrit au frontispice des parcs Disney…
D’emblée, dès son introduction virtuose (un plan-séquence au milieu des embouteillages, avec des dizaines de danseurs et des centaines de figurants, moquant l’absence de saisons et l’impression de surplace qui règne dans la mégalopole californienne), la comédie romantique se fait aussi musicale.
Non pas moderniser le genre mais plutôt en proposer une vision suffisamment fédératrice pour redorer son blason commercial
Et c’est là véritablement le coup de force de Chazelle : non pas réellement moderniser le genre – d’autres, dont Christophe Honoré, Whit Stillman ou Jon M. Chu s’y sont employés avec plus d’audace, mais sans doute moins de visibilité –, mais plutôt en proposer une vision suffisamment fédératrice pour redorer son blason commercial. La BO de Justin Hurwitz, déjà responsable de celle de Whiplash, est pour beaucoup dans la réussite du film : entêtantes et enchanteresses, ses compositions sont faites pour rester.
Que le jeune cinéaste s’inspire de Jacques Demy et de Vincente Minnelli, de Gene Kelly et de Cyd Charisse, de Fred Astaire et de Ginger Rogers, et donne ainsi envie aux spectateurs de se (re)plonger dans ces classiques est une ambition tout à fait noble.
Une vision puissamment mélancolique
Mais cet art très maîtrisé du pastiche – jusqu’à laisser volontairement des petits grumeaux dans le chant ou la danse, ou comment atteindre la perfection dans l’imperfection – serait un peu vain s’il n’était nourri d’une véritable vision, puissamment mélancolique, qui était en germe dans son précédent Whiplash, mais ne trouve son accomplissement qu’à l’issue de ce film-ci.
Ce qui semble obséder jusqu’ici Chazelle, c’est en effet la question du geste, de sa répétition, de la soumission qu’il implique, des désirs contradictoires qu’il convoque. Whiplash montrait, avec une grande ambiguïté, comment un apprenti jazzman sacrifiait tout pour l’obtention d’un jeu techniquement parfait mais artistiquement éteint, s’épanouissant et s’abîmant en même temps dans une relation SM avec son maître-bourreau.
Dans un dialogue capital de La La Land, le personnage joué par Ryan Gosling s’entend reprocher son conservatisme par un collègue apôtre, lui, d’un jazz impur : “Tu t’accroches au passé, alors que les artistes que tu révères cherchaient à faire la musique du futur”, lui explique-t-il en substance.
Obsédé par le passé, la pureté, la perfection
Et Sebastian en reste bouche bée. C’est que ce personnage moderniste, joué par John Legend, est celui par lequel Chazelle, de façon très retorse, pointe sa propre aporie en tant qu’auteur : il est, comme ses héros, obsédé par le passé, par la pureté, par la perfection, mais il sait, au fond de lui, que cela ne fait pas le génie.
Aussi, lorsqu’il montre, dans un finale poignant, au prix de quels sacrifices on atteint cette île utopique appelée La La Land, il est impossible de ne pas voir, derrière le rideau de fumée, une grande amertume. Une tristesse que le rêve ne soit finalement que ça.
Transmuer cette amertume en une forme de bienveillance réciproque qui console les amants consumés
Le spectacle est brillant (comme l’était d’ailleurs le solo de batterie de Miles Teller à la fin de Whiplash), l’intégrité artistique est sauve (le petit club de jazz plutôt que les mornes Zénith), le public (celui du club comme celui du cinéma) est sous hypnose, les yeux embués, mais les regards de Seb et Mia qui se croisent, eux, ne disent qu’une chose : est-ce que cela en valait vraiment la peine ?
Et le vrai trait de génie du cinéaste, pour le coup, est de transmuer cette amertume en quelque chose d’autre, en une forme de bienveillance réciproque qui console les amants consumés. On pense alors à ces mots de René Char dans le poème Allégeance : “Dans les rues de la ville il y a mon amour./Peu importe où il va dans le temps divisé./Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler./ Il ne se souvient plus qui, au juste, l’aima/ Et l’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas.”
La La Land de Damien Chazelle (E.-U., 2016, 2 h 08)
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