Au théâtre ce soir. La Jeune fille et la mort met en jeu les obsessions les plus tenaces de Polanski, mais le cinéma y est corseté. Il y a dans ce titre, La Jeune fille et la mort, comme un résumé laconique et idéal de la vie de Roman Polanski, une brève synthétisant l’essentiel de […]
Au théâtre ce soir. La Jeune fille et la mort met en jeu les obsessions les plus tenaces de Polanski, mais le cinéma y est corseté. Il y a dans ce titre, La Jeune fille et la mort, comme un résumé laconique et idéal de la vie de Roman Polanski, une brève synthétisant l’essentiel de sa biographie, un télégramme existentiel. De Sharon Tate à Emmanuelle Seigner, Polanski a croisé beaucoup de jeunes filles. Et la mort, il l’a côtoyée comme d’autres fréquentent leurs collègues de bureau : la Pologne antisémite, l’occupation nazie, une mère disparue dans un camp d’extermination, Sharon Tate encore… De fait, le matériau abordé dans ce nouveau film est éminemment polanskien : arrière-plan politique sentant la botte et la matraque, marigot trouble où barbotent des questions de pouvoir et de cruauté, de domination et de soumission, de foutre et de sang mêlés.
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Dans une contrée indéfinie d’Amérique latine, au lendemain de la chute d’une junte locale, une militante des droits de l’homme (Sigourney Weaver) retrouve par hasard son tortionnaire et violeur d’antan (Ben Kingsley). S’ensuit un procès sauvage improvisé sur le pouce, un huis clos mêlant règlement de comptes et recherche de la vérité, un match de catch rhétorique entre le bourreau et sa victime, avec le mari de la jeune femme dans le rôle de l’arbitre avocat. Sado et maso sont dans un bateau, mais le couple fascination/répulsion va tomber à l’eau.
Le premier quart d’heure est formidable : dans une maison isolée sous l’orage, avec pour seuls compagnons une radio allumée et une cuisse de poulet tranchée rageusement, Sigourney Weaver tourne en rond comme une lionne en cage. Le transistor nous laisse deviner qu’une commission d’enquête se met en place pour juger les dictateurs déchus, ce qui a le don de mettre à vif les nerfs de Sigourney. Trouble. Suspense. Polanski revient ! Enfin. Puis les choses se gâtent quand entrent en scène le mari-Kouchner et le Mengele-tortillas, quand le dispositif du trio infernal se met en place, quand les personnages se mettent à parler. A partir de là, tout semble joué. Ben Kingsley est-il guilty ou not guilty ? Coupable, se dit-on logiquement, sans quoi le film n’aurait aucun sens. Sigourney va-t-elle céder à son instinct de vengeance le plus bestial au mépris de la justice et de son époux ? Non, suppose-t-on, parce que ce n’est pas dans la nature d’un couple fondamentalement démocrate. Polanski fonde sa mise en scène sur un suspense psychologique artificiel alors que tout se devine dans le premier tiers du récit. Pour le reste, il n’y va pas avec le dos de la truelle . L’ambiguïté potentielle du sujet s’annule devant l’accumulation d’effets signifiants : les dialogues qui bégaient ce que disent les corps et les visages, les envolées surjouées de Weaver, le professionnalisme roué de Kingsley qui laisse entrevoir toutes les ficelles d’un acteur rompu au prestige des distributions de prix. Trop de théâtre, pas assez de cinéma.
Décidément, le brillant auteur de Cul-de-sac semble nous avoir quittés depuis Le Locataire (76 quand même). Pourtant, on le sent toujours tapi quelque part au fin fond de Polanski. Ainsi réapparaît-il dans la première demi-heure de Frantic, au début et à la fin de La Jeune fille et la mort, au détour de quelques détails : la goutte de sang dans l’oeil de Kingsley, les transparences sur les falaises qui renvoient à quelques gouffres hitchcockiens du côté de Soupçons ou de La Mort aux trousses. Mais que veut nous dire Polanski au terme de ce film ? Que la démocratie finit par triompher du fascisme ? Simplet et pas très passionnant. Que l’horreur commence au lit ? Déjà plus intéressant. Que les victimes sont parfois fascinées par leurs bourreaux ? Qu’elles peuvent devenir à leur tour les bourreaux des bourreaux ? Sans tourner au rance du dégoûtant Portier de nuit, le propos de Polanski baigne en eaux troubles. Un trouble volontariste et prémédité, déjà livré par le scénario alors qu’on aurait préféré le sentir naître de la mise en scène. Mais celle-ci se contente d’illustrer une pièce de théâtre un peu trop carrée pour nos esprits ronds.
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