Lente et monocorde descente aux enfers. La vie d’une famille espagnole observée avec un détachement hypnotique par un jeune cinéaste radical.
N’en déplaise à ses nombreux détracteurs, le cinéma de Carlos Reygadas commence à faire école. Après Sangre, de son assistant Amat Escalante, Reygadas a produit (avec Escalante) ce premier long métrage espagnol réalisé par un autre de ses anciens assistants, Pedro Aguilera. Si les amateurs de sensationnel et les moralistes seront déçus, car il n’y a pas ici à proprement parler de provocation ni d’effet de style ostentatoire, ce film est peut-être le plus barré de l’année. Pourquoi ? A cause de sa linéarité obstinée, de sa platitude affirmée et poussée au bout de sa logique jusqu’à la folie.
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Les seules rares interférences sont les quelques plans qui interrompent le flux régulier du récit de loin en loin (il y en a très peu, trois ou quatre en tout dans le film, et ils sont très brefs) : scènes de rue ou d’intérieur, curieusement ralenties, assourdies – bribes de subjectivité hallucinée dans un océan de froideur et de détachement. L’un de ces étranges interludes étant accompagné de musique (classique) religieuse, cela permet de faire le lien avec Reygadas, adepte du jeu profane avec le sacré, et vice versa. Mais dans l’ensemble, l’influence (cf. titre) du nouveau cinéma mexicain est plutôt interne, morale.
Le film raconte la lente déchéance d’une jeune femme mutique qui tient une boutique de parfumerie et vit seule avec ses deux enfants dans une ville moyenne et anonyme de la grande banlieue madrilène. Sans que rien ne soit expliqué, on la voit s’enfermer progressivement dans son apathie dépressive. Le film ne raconte que ça, sur le mode du constat behavioriste, totalement antidramatique. Cinéma de la banalité, du détail, du vérisme extrémiste…
L’interprète principale n’est pas comédienne, et ce sont ses enfants qui incarnent ses enfants. Le petit garçon a des accents qui ne trompent pas. Ce qui ajoute à l’intensité. Le film n’est évidemment pas gai, mais il y a aussi des trouées de bonheur, comme cette magnifique séquence sur la famille en liberté dans d’immenses dunes de sable blanc près d’une forêt.
La prouesse, c’est d’envisager une histoire qui se déroule à la fois dans la société et complètement en dehors. La femme vit normalement avec ses enfants, les amène à l’école, mais en même temps tout se délite inexorablement, par micropaliers. Une fois passé un certain cap, le film, tout en restant très posé formellement, en continuant à travailler sur la durée du plan, devient abstrait et brouillon. Il y a une tonalité nihiliste dans cette vision des enfants qui, livrés à eux-mêmes, continuent à vivre, insouciants, après la mort de leur mère.
La séquence finale, ponctuée par un accident d’auto et des rires malades, exprime un peu l’inverse d’un carton de L’Age d’or. Au fameux “Quelle joie d’avoir assassiné nos enfants !” de Buñuel, on pourrait substituer “Quelle joie d’avoir laissé mourir notre mère !” Ce bonheur qu’exprime ce film follement déviant, c’est de regarder péricliter cette société triste et poussiéreuse, pour renaître dans un désordre neuf, le sang à la bouche.
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