Un grand film de guerre aux refrains pacifistes dans la jungle birmane au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Pourquoi Kon Ichikawa est-il mort voilà quelques mois dans une indifférence presque complète ? Tenu un temps pour l’un des champions du cinéma classique japonais, son étoile a pâli en Europe comme en son pays au fil de décennies où il accumulait les réalisations médiocres, tandis que la conquête désordonnée de nos écrans par les films de la nouvelle vague nippone éclipsait la plupart des cinéastes de sa génération. En France, où il est un peu oublié, nombre de ses œuvres avaient pourtant été montrées dans les années 60, après distinction par les festivals (comme La Harpe de Birmanie à Venise en 1956). Au Japon, il fut dénigré dès lors que l’on y considéra l’adaptation littéraire comme un exercice académique, forcément académique, dévolu à de “simples techniciens”, au rang desquels on compta trop vite Ichikawa.
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Son parcours, initié à l’immédiat lendemain du second conflit mondial, avait d’abord fait de lui un talentueux satiriste de la société japonaise d’après-guerre, marqué par le travail des Américains Frank Capra, Ernst Lubitsch et Walt Disney, son premier héros, ainsi que celui de son compatriote Sadao Yamanaka – génie méconnu et cinéaste peut-être le plus influent de l’avant-guerre au Japon. Bien que le cinéaste ait accompagné les modes du cinéma nippon jusque dans ses épisodes scandaleux (La Chambre des châtiments, cible de la censure en 1956), un malentendu de l’histoire voulut donc que ses œuvres plus tardives, à l’exception du superbe Tokyo Olympiades (1965), le fassent passer pour un cinéaste poussiéreux, tout au mieux habile dans son registre de formaliste malingre.
C’est, toutefois, lorsqu’au mitan des années 50 il se fit un maître-passeur grand style de sujets littéraires, qu’il signa l’essentiel de ses chefs-d’œuvre, puisant à la source livresque la matière de remarquables films, tous empreints d’une obsession désabusée de l’absurdité des activités humaines. Outre son œuvre la plus fameuse, La Vengeance d’un acteur (1963), il tira par exemple de Tanizaki une belle et sardonique relecture de L’Etrange Obsession (1959), et de Mishima un magnifique Pavillon d’or (1958) avec le plus bel acteur nippon d’alors, Raizô Ichikawa.
Parmi ces titres de l’époque la plus faste de sa carrière, on compte deux beaux films de guerre attachés à représenter l’horreur semée par le Japon militariste dans le reste de l’Asie, jusque dans les accès les plus barbares du conflit – notamment le cannibalisme. Plus mystique et moins sèchement cruel que Les Feux de la plaine (1959), La Harpe de Birmanie (qui reparaît en salle cette semaine) détient ses plus belles scènes en ces tableaux violemment contrastés de plaines birmanes jonchées de cadavres, qu’un soldat devenu bonze se consacre à enterrer dignement, un par un.
Ce film – dont Ichikawa tirera un insignifiant remake eighties – est un manifeste pacifiste enchanté, douloureusement rythmé par le chœur des militaires de l’armée nippone tout juste défaite. Mais son trait le plus étonnant réside dans ses premières scènes, avant la reddition, où le bataillon est dépeint telle une horde de morts en sursis, saisis par de splendides plans sous-éclairés de leurs ombres qui s’avancent claudicantes – n’était leur chant, on pourrait croire à des zombies.
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