Quand père et fille vivent en osmose, comment faire un peu de place au monde extérieur ? Sous des atours fantasques, une comédie aussi tendre que déchirante.
Erwan Le Duc (auteur du beau Perdrix, 2019) réussit avec La Fille de son père à filmer ce moment où il faut “passer à autre chose”. Étienne (Nahuel Pérez Biscayart, avec ses yeux rieurs qui rappellent Jean-Pierre Cassel jeune) a élevé seul sa fille Rosa parce que la femme qu’il aimait tant, Valérie, est partie sans un mot d’explication, alors que Rosa était bébé. Valérie n’a jamais donné signe de vie et Étienne, entraîneur de football amateur assez excentrique, a tout assumé-assuré.
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Il se retrouve un jour avec une fille de 17 ans (Céleste Brunnquell, révélation de la série En thérapie) épanouie, rieuse, amoureuse d’un jeune poète courtois prénommé Youssef. Elle veut devenir peintre. Étienne entretient avec elle une relation idéale et complice. Sauf qu’il a conscience qu’il faut qu’elle vive sa vie et elle n’en a pas trop envie. Lui a fait une croix sur Valérie, du moins le croit-il, et vit le parfait amour avec une chauffeur de taxi interprétée par l’excellente et exquise Maud Wyler, et il aimerait habiter seul avec elle, vivre enfin sa vie, lui aussi. Mais voilà qu’un jour Étienne revoit par hasard, dans une émission du magazine Thalassa sur les plus hautes vagues d’Europe (qui se forment secrètement au fond de l’eau avant de s’élever soudain…), Valérie.
Erwan Le Duc a autant le sens de la comédie et du drame. Son cinéma revêt par exemple ce charme, cette fantaisie, cet humour fantasque qu’on trouve dans les premiers films de Philippe de Broca, avec quelque chose de plus contemporain, notamment dans sa façon d’envisager les rapports homme-femme. Disons qu’il se fiche bien des coïncidences, qu’il joue des ellipses, des gags visuels, de la joie des personnages, qu’il sait filmer les scènes d’amour avec poésie (Éluard !), les scènes tristes avec intensité, les scènes drôles avec exultation, tout en décrivant la vie de tous les jours dans une banlieue française d’aujourd’hui.
À la fin de son dernier livre, La Danseuse, Patrick Modiano formule explicitement ce que savent tous·tes ses fidèles : il n’y a pas de passé qui passe, de nostalgie à éprouver, il n’y a que du “présent éternel”. Tout ce qui s’est passé un jour est là, comme au premier jour. Le cinéma trahit évidemment ce présent éternel, puisqu’il enregistre des événements qu’on peut revoir. Peut-être alors serait-il mieux de ne jamais revoir les films qu’on a énormément aimés, pour ne vivre que sur leur souvenir ? Comme ce très beau film, intense, drôle et déchirant, qu’est La Fille de son père.
La Fille de son père d’Erwan Le Duc, avec Nahuel Pérez Biscayart, Maud Wyler, Céleste Brunnquell (Fr., 1 h 31, 2023). En salle le 20 décembre.
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