Très chabrolien, orchestré avec brio, le dernier Fontaine décortique les mécanismes cruels des relations sociales.
Chez Anne Fontaine, on aimait beaucoup la fantaisie singulière de sa série d’Augustin, on était moins convaincu par ses films plus ambitieux où le savoir-faire se confondait parfois avec le faire-savoir, où les signes trop froidement calculés de cinéma cossu réfrigéraient les vibrations plus personnelles – comme si Anne Fontaine se figeait dans un cinéma du paraître à gros budget et grosses stars et ne se lâchait que sur son pré-carré augustinien.
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Avec La Fille de Monaco, elle parvient enfin à fusionner ses deux pôles. A être drôle, tendue, fantaisiste et maîtresse de ses effets. Dans le genre “cinéma de qualité, film du milieu haut de gamme”, c’est une vraie réussite. Et dans le genre tragi-comédie glamour sur la Riviera, lignée La Main au collet, La Fille de Monaco surclasse Quatre étoiles et Hors de prix.
Avant la fille, il y a deux hommes. Un avocat d’assises, descendu à Monaco pour une ténébreuse affaire de crime dans les hautes sphères locales : intellectuel, ratiocineur, timoré en amour et en sexe. C’est Fabrice Luchini, enfantin, brillant, drolatique et fragile, au bord du génial. Son garde du corps : taiseux, taciturne, pro, droit et solide comme un pilier d’église. C’est Roschdy Zem, mélange de Lino Ventura et de Michel Constantin, excellentissime.
Les deux forment un beau couple de cinéma, duo burlesque fondé sur l’attraction des contraires, avec rapports de force changeants teintés d’homosexualité latente. Mais entre eux vient se glisser Audrey : présentatrice météo sur la chaîne locale, ambitieuse, cagole, sexy, peu cultivée mais maligne, innocemment perverse. C’est Louise Bourgoin, drôle, fraîche, complexe, pétulante, à fond sur l’autoroute d’une starisation méritée.
Appuyée sur une partition impeccable (tant sur le plan du récit que des dialogues, très savoureux) et trois acteurs stradivarius, Anne Fontaine orchestre sans temps mort cette dangereuse sérénade à trois, ménageant la complexité de chacun, révélant petit à petit leurs diverses facettes, épluchant finement les mécanismes cruels des relations sociales sans jamais tomber dans la caricature de classe ou le mépris de tel ou telle.
La Fille de Monaco évoque pas mal le meilleur Chabrol, celui par exemple du récent La Fille coupée en deux (Audrey en est une autre), un Chabrol qui serait moins persifleur et plus sophistiqué dans la facture plastique – car la nature des relations du trio procède aussi d’un véritable travail visuel, sur la gestuelle et la position des corps dans l’espace très codifié des grands hôtels ou des prétoires.
Seul bémol (sans révéler les péripéties exactes de la dernière partie), la noirceur qui rattrape le film, la victoire de la société sur le désir, emblématiques d’une “certaine tendance” du cinéma français. On ne peut s’empêcher de penser que traitée par un Américain, cette histoire aurait opté pour une hypothèse plus optimiste, aurait cru jusqu’au bout à sa piste la plus utopiste. Sans doute aussi que les barrières de classes sont plus étanches en France qu’aux Etats-Unis et que nos cinématographies respectives en sont le reflet. A cette réserve près, La Fille de Monaco est une succulente tranche de gâteau qui ne révolutionne pas la pâtisserie mais que l’on déguste avec gourmandise.
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