Dans la veine de l’Iceberg et Rumba, le trio creuse son sillon gaguesque à la Tati. Mais son univers filmique gagnerait à s’ouvrir encore.
Dom est gardien de nuit dans un hôtel miteux du Havre. Un soir, débarque à son comptoir une grande rousse dégingandée qui lui annonce tout à trac qu’elle est une fée et qu’il peut faire trois vœux.
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Dom, qui a, comme nous le savons depuis le premier plan du film, de sérieux soucis de chaîne avec son vieux vélo, lui commande illico : 1) un scooter, 2) de l’essence à volonté jusqu’à la fin de ses jours. La Fée Fiona (oui, c’est son prénom) les exauce immédiatement.
Pour le troisième vœu, Dom se fera un peu plus attendre. Mais, sans vouloir trahir un secret qui n’est jamais dévoilé dans le film, que recherchons-nous tous dans la vie ?
Après L’Iceberg et Rumba, on pouvait craindre que le filon burlesque du trio franco-canado-belge Abel/Gordon/Romy ne s’épuise un tantinet. Danger intelligemment écarté dans La Fée, présenté en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en mai dernier.
Nos trois auteurs, qui ne manquent pas de métier, savent parfaitement relancer la mécanique narrative au moment où le récit commencerait un peu à s’épuiser dans des gags un peu étirés (le chien dans le sac écossais) ou les chorégraphies du couple Abel/Gordon certes gracieuses et cocasses mais qui finissent par lasser un peu.
Côté inventivité gaguesque, on peut souvent compter sur eux : le burlesque est un romantisme, qui octroie aux objets inanimés une âme malicieuse qui reflète au plus juste l’humeur des êtres animés qui en sont victimes.
Or c’est leur métier, aux Abel-Gordon, et ils le font bien. Ils savent comme personne (ou plutôt comme Tati) épuiser les lieux et le comique gymnastique qu’on peut en tirer.
L’enseigne géante de l’hôtel leur permet par exemple de décliner toute une gamme de poursuites plus drôles les unes que les autres. Tout ici est géométrique, architecturé, calculé, dans une belle mise en scène au plan fixe ou au travelling droit.
Même si l’on peut regretter que La Fée, qui garde un certain rythme, manque parfois un peu de cette vitesse qui empêche qu’on prévoie la chute du gag avant qu’elle n’advienne.
La grande sensibilité du trio comique leur permet aussi de s’ouvrir sur autre chose, et c’est sur cet “autre chose” qu’il faudrait insister parce qu’ils pourraient sans doute s’y ouvrir encore plus dans l’avenir.
Jamais auparavant nos trois comiques n’avaient su agrandir leur univers comme ici (pas si grand que cela mais très ordonné, symétrique et logique), et y introduire, pour le perturber, des personnages secondaires à la fois très passagers et pourtant marquants (une infirmière à l’hôpital psychiatrique, une équipe féminine de rugby, etc.) qui apportent un peu d’air frais dans ce petit théâtre légèrement asphyxiant.
On notera que Tati lui-même avait progressivement fait disparaître Monsieur Hulot de son cinéma au profit de l’époque, de l’urbanisme, d’autres personnages (la blonde de Trafic). On en regrette d’autant plus qu’Abel-Gordon-Romy n’aient pas pris soin, jusqu’à présent, de montrer davantage le monde contemporain qui nous entoure.
Humilité ? Timidité ? Pusillanimité ? Parce qu’ils viseraient à l’intemporel ? Certes, on voit dans La Fée trois jeunes clandestins africains rêver de passer le Channel. Mais nos trois cinéastes n’en font pas grand-chose, se contentant de l’allusion.
L’habillement de leurs personnages, depuis L’Iceberg, rappelle à la fois celui des Deschiens ou des créatures d’Aki Kaurismäki (qui lui aussi vient de tourner un très beau film au Havre, intitulé judicieusement Le Havre), sur un mode désuet qui a un peu vécu. Les morceaux de musique entendus dans le film, d’ailleurs très beaux, ne nous rajeunissent pas… Le burlesque devrait-il toujours rimer avec passé ?
Il y a un gag, pourtant, magique, qui laisse augurer d’un versant plus politique et actuel du trio : celui qui nous montre des malades agglutinés devant la porte de leur hôpital, tous en train de fumer au milieu d’un énorme nuage tabagique.
L’inscription dans le présent, elle est là. Pourquoi ne pas la développer davantage ? Nous les avons désormais adoptés, nos trois adorables clowns de cinéma. Nous aimerions maintenant savoir ce qu’ils pensent de notre époque.
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