Il y a d’abord eu la cinéaste, révélation du cinéma d’auteur des années 90. Puis l’actrice, second rôle bientôt indispensable au cinéma français. Avec Camille redouble, Noémie Lvovsky se rassemble, et chacune sert l’autre à la perfection.
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Sa conversation est ponctuée de grands sourires, ce sourire si particulier qui irradie son visage, plisse ses yeux. Ce sourire immense, contagieux, qui nous a si souvent enchantés à l’écran à l’occasion de ses nombreux rôles (souvent comiques) émaillant les films français de ces dernières années, de Rois et reine d’Arnaud Desplechin aux Beaux Gosses de Riad Sattouf en passant par L’Apollonide de Bertrand Bonello ou Actrices de Valeria Bruni Tedeschi. Noémie Lvovsky est en effet devenue une figure de notre cinéma, une « character actress » tellement bonne et mémorable dans chacune de ses apparitions d’actrice que l’on finirait presque par oublier qu’elle est avant tout cinéaste. Oublie-moi, La vie ne me fait pas peur, Les Sentiments, Faut que ça danse ! et maintenant Camille redouble : cinq films réalisés en dix-huit ans.
Ce double statut pourrait faire d’elle un pendant féminin de Mathieu Amalric (acteur crucial et réalisateur de quatre films, dont Tournée). « Oui, remarque-t-elle, sauf que Mathieu est un très grand acteur. J’ai vraiment beaucoup de plaisir à jouer, ça me procure des joies que je ne pourrais pas trouver ailleurs, mais je ne peux pas l’envisager comme mon métier. J’avais déjà 30 ans quand j’ai joué pour la première fois, je n’ai pas de formation de comédienne, je n’ai pas fait de théâtre, je n’ai pas la discipline de vie d’une actrice qui sait qu’elle ne doit pas fumer trois paquets de clopes par jour ni prendre 20 kilos… je n’ai pas cette vie-là, ces attentes-là. Je suis réalisatrice. Et un peu scénariste. »
Fantaisie mélancomique
La réalisatrice un peu scénariste vient de sortir son cinquième long métrage, Camille redouble, qui a marqué la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année et constitue une première à deux égards : Noémie Lvovsky joue et réalise en même temps, et elle y tient le rôle principal. Si Camille redouble, Noémie, elle, a redoublé d’efforts en endossant doublement cette fantaisie mélancomique.
« J’aurais été incapable de me proposer le rôle, poursuit-elle. L’idée est venue de Jean-Louis Livi, le producteur. J’ai fait des essais, je n’étais pas bonne, mais il a insisté… Jouer et réaliser, c’est épuisant, mais ça donne une autre énergie à l’équipe. Quand le réalisateur ne joue pas, il réfléchit, les acteurs ne comprennent pas toujours ce qu’il fiche sur le plateau. Mais quand le réalisateur se colle dans le plan, tout le monde est au taquet ! »
À la fois drôle et profond, le film raconte l’histoire d’une femme de 40 ans catapultée dans l’année de ses 16 ans, où elle tente de rejouer son destin amoureux et d’empêcher le décès accidentel de sa mère. Le sujet lui est venu de questionnements intimes qui ont traversé toute sa filmo et qu’elle a souhaité cette fois aborder frontalement : « Est-ce que le temps nous change au point de nous faire devenir une autre personne ? Existe-t-il en nous une part d’irréductible ? Cette part irréductible existe-t-elle dans l’amour, dans l’amitié ? Qu’est-ce que cette sensation qu’à certains moments de notre vie, on a tous les âges ? »
L’excellente idée du film consiste à faire jouer les personnages à 40 et à 16 ans par les mêmes comédiens, ce qui nous vaut ces moments savoureux où la Lvovsky/Camille d’aujourd’hui remet collants, baskets, minijupe et T-shirt de Clash pour aller mettre le dawa dans les couloirs de son lycée.
« Je ne voulais pas d’effets spéciaux, de rajeunissement artificiel »
La réalisatrice-comédienne a su très vite qu’elle jouerait les deux âges, « sinon, je n’aurais pas fait le film. Avec des acteurs différents pour chaque âge, ça n’aurait pas de sens. Mon intuition, c’est qu’on reste la même personne. Deux acteurs différents auraient raconté des choses superficielles sur le passage du temps : peau lisse-peau ridée, silhouette de jeune fille-silhouette empâtée, etc. Si le temps nous changeait au point de devenir un ou une autre, ce serait sinistre. Et puis je ne voulais pas d’effets spéciaux, de rajeunissement artificiel ».
Le genre fantastique et l’un de ses sous-genres, le film de voyage dans le temps, sont plus de tradition hollywoodienne que française, si bien que Camille redouble ne manque pas d’évoquer des films comme Un jour sans fin, Retour vers le futur et surtout Peggy Sue s’est mariée de Francis Ford Coppola. Noémie Lvovsky admet connaître et aimer ce cinéma-là mais nie s’en être inspirée, du moins consciemment. « Retour vers le futur, Un jour sans fin, ce sont les plus grands scénarios du monde ! Camille ressemble à Peggy Sue parce que la même actrice joue les deux rôles adulte-ado. Mais Peggy Sue est une histoire de remariage, alors que Camille redouble, pas du tout. »
Camille redouble résout cette équation délicate dans le cinéma français : savoir parler à la fois aux cinéphiles et au grand public. C’est assez emblématique du parcours de Lvovsky, débuté dans les cercles auteuristes pointus en faisant de la figuration sur les courts métrages d’Arnaud Desplechin, puis croisant le chemin de personnalités et d’univers cinématographiques a priori aussi divers que Valeria Bruni Tedeschi, Claude Berri ou Riad Sattouf.
Elle assume cette variété des rencontres, se méfiant d’une pureté auteuriste du cinéma qui serait trop restrictive et dogmatique. « Si un film d’auteur est celui qui nous donne un monde à voir et nous permet de faire connaissance avec un cinéaste, alors James Cameron est autant un auteur qu’Arnaud Desplechin ou Riad Sattouf. J’ai beaucoup appris avec Arnaud, il m’a donné le la. J’ai bossé sur le casting de La Vie des morts, puis de La Sentinelle, je l’ai vu travailler, ça m’a beaucoup appris. Berri, c’est une autre histoire. Mais au fond, est-ce si différent ? Claude connaissait parfaitement les films d’Arnaud, il a produit Truffaut, Pialat, Forman, Polanski… Il avait un air de Droopy mais il était très chaleureux. À la fin de son travail sur Camille redouble, Jean-Pierre Léaud m’a demandé : ‘Alors, on est amis !?’ Ça m’a rappelé Berri, cette idée qu’on devient amis en faisant du cinéma ensemble ou qu’on fait du cinéma ensemble parce qu’on est amis. C’est très sentimental mais c’est vrai, en tout cas pour moi. Avec Arnaud, Claude, Riad, Valeria, j’ai l’impression d’avoir travaillé avec des gens qui ne recherchent pas la pureté du cinéma mais au contraire jubilent de ce que le cinéma est fait de plein de trucs mélangés. »
Malgré le temps qui passe et l’exercice du métier, toutes choses qui pourraient user le désir ou banaliser le cinéma, Noémie Lvovsky est restée très spectatrice, gourmande de films.
« Depuis ‘Holy Motors’, je regarde le monde autrement »
C’est grâce au grand critique et enseignant Jean Douchet qu’elle a appris à regarder et à considérer que les bons films aident à s’habiller, à se tenir, à draguer, bref à vivre. Son dernier grand choc est le Holy Motors de Leos Carax, qu’elle ne peut s’empêcher d’évoquer avec les yeux qui brillent et des tremblements dans la voix : « Waow ! Ce film m’a totalement allumée. Ces dernières années, je pensais parfois à Carax, ou à d’autres cinéastes trop rares comme Emmanuel Finkiel, en me demandant quand on reverrait un nouveau film d’eux. On en a besoin. Cela dit, j’admirais les films de Carax, même s’ils ne m’aidaient pas à vivre. Mais Holy Motors… je n’en ai pas encore atterri. Je suis comme quand j’avais 11 ans et que je voyais pour la première fois un film de Truffaut (…). Depuis Holy Motors, je ressens un élan neuf, une respiration neuve, je regarde le monde autrement, comme quand l’air pur de la montagne redilate les alvéoles des poumons pollués des citadins… Tout me semble enrichi, irradié par le film de Carax. Et l’effet dure. C’est un film sublime, magnifique, mais on a envie de retenir ces mots-là, de ne pas dire que c’est sublime, de peur de le figer dans un statut de chef-d’oeuvre qui le rendrait plus froid. Et toutes les femmes, toutes les actrices y sont sublimées. »
Elle continue à chanter Carax pendant plusieurs minutes, comme en lévitation. Rien de plus émouvant qu’une cinéaste chevronnée qui ressort bouleversée de la vision d’un film comme au premier jour de sa vie de cinéphile, émotion validant par ailleurs le propos et le sens profond de Camille redouble : malgré les années qui s’additionnent, le métier, l’expérience, Noémie Lvovsky est restée au fond d’elle-même une jeune fille capable d’émerveillement.
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