Les avatars de la domination masculine, dans un documentaire piquant
Après avoir consacré un documentaire à l’exclusion des jeunes de banlieue (La Raison du plus fort), Patric Jean poursuit son travail de cinéaste engagé en s’attaquant à la question homme-femme. Après des siècles de domination patriarcale absolue, on pouvait penser que nos sociétés occidentales étaient aujourd’hui proches de l’égalité des genres suite aux conquêtes féministes des années soixante. La Domination masculine montre qu’on n’y est pas et que l’on serait même plutôt en période de reflux. Le film commence par un fait de société très contemporain et symbolique : l’agrandissement du pénis. Loin d’une lubie folklorique ou d’un phénomène de spams, de plus en plus d’hommes se font opérer, convaincus que leur épanouissement de mâle doit passer par la taille de leur sexe. De cette dimension physiologique, le film aborde ensuite les vrais questions politiques, économiques, sociétales. On rencontre d’anciennes combattantes du féminisme effarées par la tournure de l’époque. En contrepoint, des jeunes femmes filmées dans un club de speed-dating racontent leur désir d’hommes conformes à tous les clichés de la masculinité (force physique, rôle protecteur, et pourquoi pas un peu de machisme en digestif…). Certaines femmes ont donc intégré au fond d’elles-mêmes les siècles de patriarcat et les quelques décennies d’évolution des mœurs n’ont pas renversé cette tendance. Ce n’est guère étonnant quand on pense à la séquence du magasin de jouets dont les rayons filles et garçons évoquent mieux que tout discours la construction sociale de la féminité et de la masculinité dès l’enfance. Mais l’aspect le plus étonnant et inquiétant du film nous emmène au Québec où s’est developpé un mouvement anti-féministe (dommage que le film ne nous renseigne pas sur le degré de son ampleur). On croit presque à une blague tellement les propos sont outrés, mais ces messieurs de la belle province ne rigolent pas du tout. L’un deux vous dit quand même droit dans la caméra, « le féminisme est un crime contre l’humanité » !
Filmé selon les canons ordinaires d’un reportage télévisé, La Domination masculine puise sa force et sa singularité dans sa façon d’enchaîner les séquences dans leurs rimes ou leurs dialectiques. Mais loin de ne montrer que les régressions les plus criantes, le film de Patric Jean s’intéresse aussi aux phénomènes d’inégalités s’accomplissant plus ou moins à notre insu, comme la répartition par genres des postes au sommet des entreprises. Le film remet chaque spectateur en question en pointant ainsi les manifestations les plus anodines et quotidiennes de la domination masculine.