Qui se souvient de Pascal Thomas, auteur de comédies très populaires dans les années 70 ? Après quelques années incertaines, le cinéaste de Pleure pas la bouche pleine revient avec La Dilettante, un étrange objet hors norme. Entre ratage et réussite. Quelle place assigner à Pascal Thomas dans le paysage cinématographique français, quand bien même […]
Qui se souvient de Pascal Thomas, auteur de comédies très populaires dans les années 70 ? Après quelques années incertaines, le cinéaste de Pleure pas la bouche pleine revient avec La Dilettante, un étrange objet hors norme. Entre ratage et réussite.
Quelle place assigner à Pascal Thomas dans le paysage cinématographique français, quand bien même ce dernier serait prêt à l’accueillir de nouveau ? Après avoir signé trois cartons au début des années 70 (Les Zozos, Pleure pas la bouche pleine, Le Chaud lapin), un lent processus de dissolution identitaire s’est opéré, ponctué par une paire de bides qui l’ont tenu deux fois à l’écart des plateaux. Et ce n’est pas La Dilettante curiosité équilibriste, enivrée par le vertige du gouffre, prêtant souvent le flanc à l’insipide pour finalement, à l’arraché, emporter le morceau et notre engouement , qui va apaiser la confusion. Mais faire fi des railleries, oublier un temps Harmony Korine ou Ryosuke Hashiguchi et défendre bec, ongles et mauvaise foi acérés un film hybride, malade, troué mais néanmoins important tant il éviscère nos positions face à la tradition, au classicisme et à la modernité.
Au grand jeu des étiquettes, Thomas s’est longtemps vu accoler celle du chantre du « nouveau naturel », véritable sparadrap du capitaine Haddock, alors qu’il est avant tout un Jacques Rozier qui aurait trouvé son public. La réussite commerciale a de ces effets pervers, qui l’associent plutôt à un Chatilliez, quand on ne le désigne pas comme « le type qui a fait A nous les petites Anglaises ». « La méprise vient du fait que ces films ont coûté très peu cher et ont eu beaucoup de succès, nous explique Pascal Thomas. S’ils avaient coûté très cher, il n’y aurait pas eu cette cohorte de suiveurs, Michel Lang ou ses épigones. »
Succès pourtant absolument pas prémédités ni annoncés, claque aux Cassandre. « Pendant neuf mois, Les Zozos ne trouvaient pas de distributeur. Finalement, le film sort sans aucune presse et fait 940 entrées le premier jour. Les exploitants voulaient le débarquer dès le vendredi. Puis, curieusement le public vient, cela devient un succès et donc un film commercial, alors qu’il n’en avait absolument pas les éléments. Idem pour Pleure pas la bouche pleine et Le Chaud lapin, qui avaient respectivement comme titres de départ Une Promenade champêtre avec une jeune fille de bonne famille et Le Confident malgré lui, et pas non plus ces affiches vulgaires dont on les a affublés. On me disait « T’as rien dans ton film, faut bien trouver une accroche. » Alors une image s’est forgée, que j’ai laissée faire, presque à mon corps défendant, et qui est désolante. »
Avec pour conséquence un peu de cécité critique face à Pleure pas…, descendance sensible des thèmes et du ton à l’oeuvre dans Adieu Philippine et Du côté d’Orouet. A son tour, le public se défausse devant Celles qu’on n’a pas eues (les femmes, certes, mais surtout les entrées), grevant le projet de Thomas sur l’enfance de Paul Léautaud. Remis en selle par Les Maris, les femmes, les amants et son tombereau de répliques cultes « Je voulais que chaque phrase soit une maxime ou un aphorisme, à la manière de Wilde » telles « les vrais problèmes sont à Beyrouth » ou « Il est solide comme le Crédit Lyonnais » qu’on chérit encore mais qui laisseront interdits nos enfants, Thomas anéantira son nouvel élan en s’emplafonnant dans La Pagaille (1991) : « Un flop impeccable et un miscasting total. Une des règles de la comédie réside dans le choix des personnages. Là, tout était raté. Y’a des moments, on n’est pas en forme. » Suivent huit autres années rythmées par des adaptations télé de Labiche et Marcel Aymé, la mise sous éteignoir de My darling Clément, écrit avec Age et Scarpelli, et un conte de Noël, commande des magasins Auchan, « à destination exclusive des moins de 6 ans » (on en est !) coréalisé avec Rozier, starring le génial Yves Afonso incarnant un arbre.
En dehors de ça, de la chasse aux éditions originales de Perros et des sommes conséquentes gagnées au LotoFoot ou au TotoCalcio, s’imaginer le cinéaste transformer son appartement parisien en caisson d’isolation. Il y a en effet du Hibernatus chez Pascal Thomas. Comment expliquer autrement que La Dilettante s’affiche comme period-movie, brassant trains Corail, logos FR3 et boléros Lacroix ? « Tout simplement parce que toutes les histoires autour du marché de l’art (qui n’interviennent que tard dans le film) se déroulaient à l’orée des 90’s. » Uniquement ? On est tenté d’y opposer une volonté de conjurer ce hiatus à l’ombre, de reprendre les choses en l’état antérieur à la déréliction post-Pagaille. Mais 1989, 1991 ou 2001, qu’importe puisque Thomas nous immerge dans le cinéma des années 40, portraiturant une héroïne de Cukor qui se prendrait les pieds dans le tapis pour atterrir dans l’univers de Guitry, lui-même consigné dans un CES de banlieue. « Je n’ai jamais été dans la mouvance. Déjà à l’époque des Zozos dont le générique était soutenu par un plan qui remontait une rivière à contre-courant, expression même de ma position , je n’étais pas dedans ; pourquoi le serais-je aujourd’hui ? »
« Du classique, du classique ! », vociférait Léaud dans Détective. On peinait jusque-là à imaginer le monde dissimulé sous ces imprécations. La Dilettante est à même désormais d’en ébaucher une idée, à condition d’accepter que le classicisme version Thomas puisse également être mâtiné d’underground inconscient, aller se nicher à l’extrémité d’une courbe expérimentale abritant Stan Brakhage sur son versant opposé. Des difficultés à suivre ? Sachez que le film n’est en rien un produit formaté, monté sur rails, le nez dans le livre de recettes, mais une expérience, pas toujours aisée, dont on sort flapi ou revigoré. L’argument, élaboré avec Jacques Lourcelles, ancien critique macmahonien tenant Godard et Antonioni pour responsables de la mort du cinéma, est pourtant un archétype : « Montrer une bourgeoise fauchée, Pierrette, qui va puiser en elle des solutions de survie et ne jamais se plaindre, mue par le désir de trouver un toit, un travail, éventuellement un amant, et passer de l’un à l’autre. Ecrire pour une comédienne incarnant un personnage dont on ne sait rien au départ, comme dans un film de Hawks, mais qui serait toujours présent à l’écran. »
« Back to mono. » Après l’entrelacement des trajectoires de multiples personnages (modèle Les Maris, les femmes…), Thomas opte pour un film lasagne (la métaphore mille-feuilles n’a que trop servi), et à la façon du wall of sound spectorien, mais avec moins de bonheur, empile saynettes l’une sur l’autre. Cela donne Pierrette au collège de Bobigny, Pierrette à Neuilly, Pierrette s’amourachant du père Di Falco (ou son clone, chroniqueur oecuménique sur France Cul béni). Entame trop longue et indigeste, ce n’est assurément pas la partie la plus réussie, le rire n’est pas franc, on serait même un peu gêné d’être là. « Billy Wilder disait qu’on peut aller à 45 minutes de présentation, même ennuyer le spectateur mais ne plus le lâcher après. » Dans ce cas…
Mais ce n’est qu’au terme d’une heure, avec l’épisode de Pierrette et le potelé (Bernard Verley XXL en antiquaire escroc) qu’on absout Thomas. Changeant radicalement de cap, laissant sur le bas-côté une kyrielle de personnages secondaires, le film débride sa verve comique, tout en se drapant dans une mélancolie, une gravité insoupçonnées. A cet égard, la parenthèse prison, concentrée sur trois scènes successives de parloir et un dispositif épuré (deux personnages, deux axes, une gestion idéale des déplacements), provoque une déflation inattendue, conviant sans complexe en ses murs un assèchement digne des compositions de L’Argent de Bresson, au sein duquel l’abattage effréné de Catherine Frot (que Thomas se plaît à comparer à Gaby Morlay) prend une résonance toute particulière. Encadrée des deux grandes scènes jubilatoires de la vente et du procès (Jean-François Balmer, grandiose), cette accalmie cellulaire cristallise notre affection désordonnée pour le film. Finalement, c’est entaché de scories infréquentables (l’évocation en noir et blanc des balançoires de l’enfance, pas possible), d’impuretés diverses qu’il parvient aussi à se singulariser. « Vous voulez dire un ovni comme le Tarantula de Jack Arnold ? » Heu, non Pascal, pas vraiment. Plutôt Madame le juge chez Sautet, Mocky chez Madame de Maintenon, avec, sous nos pieds, à la fois des patins et des chausse-trappes.
« Je suis ma ligne, je fais ce que je sais faire, ce qui me semble être amusant, je ne vois aucune prise de risque dans ma conduite du récit. Il faut prendre le film comme on recevrait Papa, maman, la bonne et moi de Le Chanois. » L’humilité salutaire de Pascal Thomas force le respect. « Quand mes films ne sont pas réussis, ils ne marchent pas, n’arrivent pas à faire illusion. Il n’y a que mes films un peu réussis qui marchent. » Alors, malgré nos doutes quant à sa viabilité commerciale, et en tenant compte des dérapages (les siens, comme les nôtres), on aimerait rassurer le père autarcique de La Dilettante. Son film est parfois raté, parfois un peu réussi et souvent beaucoup plus qu’un peu. Advienne que pourra.
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