Après un fabuleux fragment de super 8 vieux d’une vingtaine d’années ? vision faunesque d’adolescents hirsutes et grimaçants ?, on passe au présent, pudiquement. Un de ces ados d’hier frisant la quarantaine, est filmé de dos dans une voiture, la nuit, et décrit la cellule traditionnelle (menottes, capiton, etc.) où on l’avait jeté avant son […]
Après un fabuleux fragment de super 8 vieux d’une vingtaine d’années ? vision faunesque d’adolescents hirsutes et grimaçants ?, on passe au présent, pudiquement. Un de ces ados d’hier frisant la quarantaine, est filmé de dos dans une voiture, la nuit, et décrit la cellule traditionnelle (menottes, capiton, etc.) où on l’avait jeté avant son transfert à La Devinière, havre de liberté. Autistes, malades mentaux jugés incurables, vivent dans une ambiance familiale à La Devinière-Atlantis, lieu de vie anti-psychiatrique belge, hors institution, fondé en 1976 et toujours géré par Michel Hock. Dans cette ancienne ferme à moitié délabrée, ornée de graffitis, ceux que certains appellent des fous sont libres de créer, jouer, s’exprimer et de divaguer, sans camisole, sans médicaments. La caméra portée par le réalisateur Benoît Dervaux, cadreur des films des frères Dardenne (co-producteurs de ce film), suit les pensionnaires de près, actifs, inactifs, les isolant souvent les uns des autres en gros plan ? au point que parfois on est frustré de ne pas avoir de vision d’ensemble ?, s’attardant sur certaines figures extraordinaires. Notamment un petit homme joyeux et ingénieux, véritable émule de l’art brut qui fabrique des sirènes, des machines invraisemblables, dignes de Takis ou Tinguely. Et puis il y a la star, le personnage principal du film, Jean-Claude, haltérophile barbu au discours à la fois cohérent et poétique, parfois irrésistible de drôlerie (« Dans un petit pois qu’est-ce qu’on met ? De la mayonnaise ! »). Comme Jean-Claude a une maîtrise parfaite et subtile du langage, le rôle de porte-parole officieux des pensionnaires lui échoit naturellement. Après une longue séquence, émouvante et beckettienne à la fois, où il rend visite à sa mère, le film se clôt par une véritable épiphanie. Jean-Claude, le magicien du verbe, devient magicien tout court et nous présente une version inédite du célèbre « œuf de Colomb » : il parvient à faire tenir un œuf debout sur sa pointe et le surmonte ensuite d’une cigarette en équilibre Cette prouesse est un peu la métaphore de la conception de la psychiatrie dans cette anti-clinique. En accompagnant les malades avec une immense abnégation, Michel Hock, véritable substitut paternel, leur a permis de trouver un semblant d’équilibre, une forme de sérénité. Ce superbe film sur la folie qui n’est plus vécue en temps que telle, comme une rupture avec le « monde normal », complète idéalement des films essentiels comme San Clemente de Raymond Depardon et Le Moindre des mots de Nicolas Philibert. Grâce au regard intime de Benoît Dervaux, le handicap mental devient familier et n’est plus considéré comme une fatalité.
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