En mai 1984, Truffaut rencontrait le critique américain Bert Cardullo, évoquait ses premiers courts-métrages, « Les Quatre cents coups », Rossellini et l’Amérique. Le « New Yorker » publie l’interview en intégralité.
Plutôt que de raviver les vielles rancoeurs et les petites batailles de chapelles, le New Yorker a eu la bonne idée de publier sur son site la dernière interview consacrée par François Truffaut à un titre de presse écrite (en anglais). Un document rare, réalisé en mai 1984, soit quelques jours avant la dernière apparition publique du réalisateur sur le plateau d’Apostrophes de Bernard Pivot le 13 avril 1984.
Publié à l’origine dans le livre de l’historien du cinéma et critique américain Bert Cardullo (Action! Interviews with Directors from Classical Hollywood to Contemporary Iran), l’entretien –toujours inédit en France- a été diffusé sur le blog de Richard Brody, collaborateur du New Yorker et spécialiste de l’œuvre du réalisateur.
Regarder des films pour apprendre le métier de réalisateur
Bert Cardullo, qui présentait en avant-propos un François Truffaut « clairement affaibli mais incontestablement lucide », avait réalisé cette interview dans les locaux de la société de production du cinéaste, Les Films du Carrosse. Principalement centré sur le cycle Antoine Doinel et sa portée autobiographique (Les Quatre cents coups, Antoine et Colette, Baisers volés, Domicile Conjugal, L’amour en fuite), l’entretien dérive aussi vers des questions plus générales (l’introduction au cinéma, l’influence américaine…). François Truffaut y évoque son apprentissage de la réalisation, éprouvée comme spectateur, autodidacte revendiqué capable de regarder « quatorze à quinze fois des films comme La Règle du jeu de Jean Renoir, ou Le Carrosse d’or« .
« Il y a une façon de regarder les films qui vous en apprend bien plus que de travailler comme assistant réalisateur », déclare ainsi François Truffaut, qui a pourtant fait ses armes en tant qu’assistant de Rossellini en 1956, avant de réaliser son second court, Les Mistons.
Rossellini justement, dont il évoque avec passion la capacité à s’extraire des règles « techniques » du cinéma, très loin de la pratique « infaillible » d’un Renoir. Mais les deux réalisateurs partageaient surtout, selon Truffaut, « le désir de rester au plus près possible de la réalité dans un film de fiction« . Ce qui passionnait justement l’auteur des Quatre cents coups dans le film Allemagne, année zéro de Rossellini : cette manière de représenter l’enfance dans une « approche documentaire », confiait-il à Bert Cardullo.
« Des courts métrages sans scénario, extrêmement prétentieux »
Après avoir rappelé l’influence majeure des réalisateurs américains (« Sidney Lumet, Robert Mulligan, Frank Tashlin, Arthur Penn ») sur la Nouvelle Vague, François Truffaut évoque ses années de critique aux Cahiers du Cinéma et, toujours grâce à André Bazin, à Travail et Culture.
En parallèle, il tournait quelques courts métrages amateurs en 16 mm, « sans scénario », « extrêmement prétentieux », « rien d’autre que des portes qui s’ouvrent et qui se ferment », se souvient-il. Puis vinrent Les Quatre cents coups, film qui devait s’appeler à l’origine Antoine s’enfuit : histoire « partiellement autobiographique » d’une enfance que le réalisateur dépeint comme une « série de souvenirs douloureux ».
« Do you want to remain a critic ? »
Interrogé sur les conditions de tournages, François Truffaut, qui « n’aime pas les studios », se souvient de ses prises de vues dans un appartement de la rue Caulaincourt à Paris, son cameraman en équilibre sur une fenêtre du sixième étage. Et le cinémascope, dont il pensait « naïvement » qu’il rendrait le film « plus professionnel, plus stylisé ».
Pour justifier la fin du cycle Antoine Doinel, François Truffaut se compare à un auteur de comic strip qui refuserait de voir grandir le personnage qu’il a créé. Il regrette toujours devant Bert Cardullo L’Amour en fuite, qui conclut cette série : « trop expérimental » et qui, au final, « n’est pas un vrai film ».
Quelques remerciements polis et François Truffaut lâche : Do you want to remain a critic ?