Le dernier film du réalisateur suisse dépeint une histoire mère-fils compliquée sur fond de crise migratoire en Sicile… et nous laisse avec un profond sentiment de gêne.
Avec La dérive des continents, Lionel Baier enrichit d’un troisième volet sa tétralogie sur l’Europe, entamée avec Comme des voleurs (à l’est) et poursuivie avec Les Grandes Ondes (à l’ouest). Employée de l’Union européenne, Nathalie Adler (Isabelle Carré) est missionnée pour se rendre en Sicile dans un camp de migrant⸱es, où Emmanuel Macron et Angela Merkel ont prévu de se rendre. Sa mission : mettre en scène une sinistre mascarade et maquiller les véritables difficultés auxquelles sont confrontées les personnes qui vivent et travaillent dans le camp (ainsi que le caractère vétuste du lieu, transfiguré pour l’occasion et changé en un Club Med pour migrant⸱es).
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Le rire comme politesse du désespoir. C’est selon ce mantra qu’avance d’abord La dérive des continents qui, dans une première partie, teinte son décor d’un peu de cette absurdité bizarre provoquée par l’écart entre un défilé de prétendant⸱es et de bureaucrates en costume-cravate, et l’urgence d’une situation humanitaire calamiteuse. À cette satire d’une époque en crise, le cinéaste français greffe bientôt une autre histoire d’écart et d’incommunicabilité entre Nathalie et son fils (Théodore Pellerin), jeune homme engagé auprès d’une ONG voyant d’un œil très critique les manigances politiques mises en œuvre.
Un spectacle qui a de quoi crisper
L’apprivoisement de ces deux personnages ouvre ainsi un nouveau film, qui se rapproche davantage de la chronique et s’achèvera par des retrouvailles mises en scène dans un paysage labyrinthique, belle idée, et clin d’œil évident au Voyage en Italie de Rossellini et à ce rapport de contamination ambigu entre les lieux et les êtres. Mais en concentrant son récit sur les tourments existentiels de son beau duo, et en relayant la crise migratoire au second plan, La dérive des continents finit par provoquer un grand sentiment de gêne. Le sujet aux velléités d’abord satiriques, qui aurait pu conduire le film sur les traces d’un Bruno Dumont dernière période, apparaît comme un outil de scénario, une vaste idée qui s’édulcore, un arrière-plan dont l’existence ne tient que pour accueillir la réconciliation de ces deux personnages d’expatrié⸱es. Le spectacle a de quoi crisper et La dérive des continents finira par le mettre en scène dans une séquence de révolte exaltée, censée, peut-être, exorciser ses propres maux.
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