Le cinéaste chilien Patricio Guzmán dénonce l’ultralibéralisme, le désastre écologique et les crimes du passé dans un beau documentaire, annonciateur de la révolte actuelle.
Patricio Guzmán a-t-il rêvé le soulèvement populaire qui se produit actuellement au Chili, suite à l’augmentation du prix du ticket de métro, et a-t-il fait de ce rêve son nouveau film ? Lui qui a, depuis trente-cinq ans et sans relâche, documenté l’histoire tragique de son pays s’est-il finalement transformé en oracle ?
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La mémoire des disparus et les dénis du présent
Il avait jusque-là confronté, par tous les moyens possibles, la mémoire des disparus avec les dénis du présent. Son style était passé du documentaire politique le plus brut, comme dans le monumental triptyque La Bataille du Chili (1975-1979) ou Salvador Allende (2004), à une esthétique plus abstraite, une dialectique mêlant la poésie de la nature aux exactions du pouvoir politique. Après les astres dans Nostalgie de la lumière (2010) et le cycle de l’eau dans Le Bouton de nacre (2015), le voici donc qui en appelle ici aux montagnes, à la cordillère des Andes qui encercle la capitale Santiago et constitue 80 % de la surface du pays.
Dans ce cinéma où le hasard n’existe pas, où toute l’histoire d’un pays se déroule à partir du fil brisé d’un bouton ou de la découverte d’un ossement dans le désert, chaque signe a son importance. Il n’y a donc pas de hasard à ce que, des mois avant le soulèvement populaire qui agite aujourd’hui les rues de Santiago et plonge le pays dans un climat de guerre civile qu’il n’avait plus connu depuis la fin de la dictature de Pinochet, Guzmán ait la prescience foudroyante de débuter son film justement dans le métro de la capitale chilienne.
La possibilité d’une révolte
Il filme là le peuple qui s’est depuis réveillé pour protester contre tout ce qu’il dénonce dans La Cordillère des songes, à savoir la confiscation des ressources naturelles du pays par les entreprises étrangères, l’ultralibéralisme adopté par le gouvernement, la non-reconnaissance des crimes gouvernementaux du passé et l’augmentation des inégalités entre les riches et les pauvres.
Ce que traque Guzmán, dans une alternance entre une série d’entretiens – avec deux sculpteurs, un cameraman amateur et un écrivain – et des vues aériennes de Santiago et des montagnes habitées par la voix du réalisateur, est bien la possibilité d’une révolte. Lorsqu’il filme ces rues désertées par les manifestants, domestiquées par le capitalisme, présenté comme une nouvelle forme de régime autoritaire, il en appelle à une révolution larvée aujourd’hui advenue. Cinéaste de la mémoire chilienne, Guzmán s’est fait, le temps d’un film, l’annonciateur du futur immédiat de son pays. Le songe est devenu réalité.
La Cordillère des songes de Patricio Guzmán (Fr., Chili, 2018, 1 h 25)
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