Pour son ultime chef-d’oeuvre, Charlie Chaplin renverse un scénario de comédie romantique avec des gags venus tout droit du burlesque, sans oublier les violons.
LE FILM Dans son Dictionnaire des réalisateurs, Jean Tulard expédie « La Comtesse de Hong- Kong » (1967) en une formule : “Comédie languissante interprétée par Sophia Loren et Marlon Brando, l’un et l’autre fort mal à l’aise.” Quitte à être désagréable, il y avait moyen de trouver mieux. En soulignant, par exemple, l’incongruité fondamentale à voir Chaplin – qui, depuis l’arrivée du parlant, s’était magnifiquement tenu en marge de l’histoire du cinéma – céder ainsi au goût du jour le plus superficiel en livrant sa version de la “comédie romantique avec casting international”. Le problème, c’est qu’en creusant ce défaut si manifeste on arrive rapidement à ce qui fait aussi de « La Comtesse… » un chef-d’oeuvre incomparable. Car si l’on veut bien se souvenir que le cinéma a accompli en six décennies ce qui avait demandé six siècles à la peinture, en passant de son âge primitif à son classicisme puis à son ère moderne, alors le dernier opus de Chaplin ne saurait se regarder autrement que comme une sérigraphie d’Andy Warhol retouchée par Giotto. Rohmer, qui n’appréciait pas beaucoup Chaplin, défendait précisément La Comtesse de Hong-Kong sous cet angle en disant qu’il apportait “très humblement sa réponse à la question des questions pour quiconque a pratiqué – ou aimé – le cinéma avant 1930 et entend le pratiquer – ou l’aimer – encore : comment concilier l’esprit du gag, son fantastique, sa poésie, avec le naturalisme obligé du cinéma actuel ?” Le malaise réel, palpable, de Loren et Brando provient de ce grand écart ingérable. Engagés pour jouer une histoire d’amour entre un milliardaire américain et une prostituée russe, voguant de conserve sur un paquebot transpacifique, voilà que le réalisateur leur demande non pas de multiplier les répliques brillantes et autres mots d’esprit, mais de courir se cacher dans les placards, de mettre des pyjamas trop grands ou des chapeaux trop petits et d’enchaîner des pitreries tout droit sorties du pur burlesque. A ce jeu anachronique, les stars assermentées se font rapidement déborder par des seconds rôles merveilleusement choisis : une petite vieille farfelue, cloîtrée dans sa cabine au milieu de peluches multicolores et, surtout, un serviteur dévoué, interprété par le génial et méconnu Patrick Cargill. Est-ce à dire que Chaplin sacrifie son intrigue et ses acteurs principaux au nom d’un projet impossible ? On pourrait d’abord le penser. Et, pourtant, quelque chose d’imprévu se tisse subrepticement au milieu des gags ratés et des faux raccords, une tristesse diffuse qui imprègne peu à peu le film et sa romance d’une émouvante mélancolie. Le nom de Chaplin, qui fait office ici de figurant de luxe, dans le rôle d’un serveur, apparaît à la fin du générique sous le seul titre de “compositeur”. Le secret de La Comtesse… se trouve sans doute dans cet ultime panneau. La musique de Charlot y traverse tous les plans sans qu’on sache comment.
LE DVD Pas de bonus.
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