Pour son quatrième film à Cannes, “Anatomie d’une chute”, Justine Triet triomphe en remportant la Palme d’or, la troisième jamais décernée à une réalisatrice. L’occasion pour la cinéaste de tenir un discours engagé qui n’a pas manqué de faire bondir les politiques.
Alors que samedi 27 mai, le jury de la 76e édition du Festival de Cannes, présidé par Ruben Östlund, décernait la Palme d’or à Justine Triet pour Anatomie d’une chute, la réalisatrice a profité de la tribune qui lui était offerte pour lancer une attaque contre la politique gouvernementale avec un discours polarisant qui n’est pas passé inaperçu.
Des Oscars d’Hollywood jusqu’à la Mostra de Venise, les discours des lauréat·es sont souvent politiques et apparaissent généralement comme les amplificateurs des revendications sociales de leur temps. Justine Triet a ainsi profité de cette remise de Palme pour pourfendre la réforme des retraites et dénoncer la mise en péril de l’exception culturelle française ainsi que la marchandisation de la culture.
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Si le festival s’était ouvert sur la menace d’une coupure d’électricité de la CGT, le mouvement social s’est finalement invité à Cannes lors de la cérémonie de clôture, dans le discours de la lauréate : “Je ne peux me contenter d’évoquer la joie que je ressens. Cette année, le pays a été traversé par une contestation historique, extrêmement puissante, unanime, de la réforme des retraites. Cette contestation a été niée et réprimée de façon choquante”, a dit la réalisatrice. Un discours qui a aussitôt fait réagir la classe politique.
La ministre de la Culture “estomaquée”
La ministre de la Culture Rima Abdul Malak a immédiatement réagi sur Twitter après les propos de Justine Triet, se déclarant “estomaquée par son discours si injuste”. “Ce film n’aurait pu voir le jour sans notre modèle français de financement du cinéma, qui permet une diversité unique au monde. Ne l’oublions pas”, a-t-elle écrit sur le réseau social.
Le député Renaissance Guillaume Kasbarian reproche quant à lui à la réalisatrice palmée de s’attaquer au système de financement du cinéma alors qu’elle a reçu pour son film des subventions publiques et, montant sa méconnaissance dudit système, propose “d’arrêter de distribuer autant d’aides à ceux qui n’ont aucune conscience de ce qu’ils coûtent aux contribuables”.
À droite, les propos de la réalisatrice n’ont pas manqué de faire réagir l’ancien ministre LR devenu macroniste Éric Woerth, qui parle d’“anatomie d’un naufrage” pour dénigrer le discours de Justine Triet. Le ministre de l’Industrie Roland Lescure parle lui d’“anatomie de l’ingratitude d’une profession que nous aidons tant… et d’un art que nous aimons tant !” Le maire de la ville de Cannes David Lisnard, nouvelle figure montante du parti LR, a également réagi sans toutefois nommer Justine Triet : “Bravo à tous les récompensés venus du monde entier recevoir avec joie et respect leur prix (sic). Une seule complainte, politique, celle de la réalisatrice française, au discours d’enfant gâté et si conformiste, en recevant la prestigieuse Palme d’or pour son film subventionné. Routine.”
Ce dimanche 28 mai, la ministre de la Culture a persisté et signé, ajoutant sur BFM TV que le discours de la réalisatrice était “ingrat” et “injuste”. Elle rappelle avoir annoncé la semaine dernière le lancement d’une campagne d’aide à la création audiovisuelle et cinématographique de 250 millions d’euros pour 2030 et affirme que le gouvernement a été à l’écoute des revendications sociales en faisant évoluer la réforme des retraites. Elle estime que “dans le discours de Justine Triet, il y a clairement un fond idéologique d’extrême gauche” et insiste dûment sur le soutien gouvernemental au secteur culturel notamment durant la crise du Covid-19 : “J’aimerais bien qu’elle me donne les chiffres, les faits sur lesquels elle se base pour considérer que, aujourd’hui, la culture est ‘marchandisée’ et l’exception culturelle cassée.”
La passe d’armes s’est ensuite poursuivie par médias interposés. Au micro de France Inter, Justine Triet a dit avoir compris l’étonnement de la ministre mais a surtout tenu à rappeler que “l’idée de la non-rentabilité des films” doit être “préservée”, et que Cannes a “toujours été un endroit où les gens s’exprimaient politiquement par rapport à la situation du pays”.
Un écho à gauche
Si du côté des soutiens au gouvernement, on dénonce l’“ingratitude” du discours, la gauche affiche sans réserve son soutien à la prise de parole de Justine Triet. De nombreux acteurs politiques ont ainsi partagé leur enthousiasme, comme le député de La France insoumise Éric Coquerel qui a notamment remercié l’engament de la réalisatrice : “Bravo à Justine Triet […]. Et merci pour son discours combatif contre la réforme des retraites et la politique néolibérale du pouvoir actuel.”
Jean-Luc Mélenchon salue également sur Twitter “le courage” de Justine Triet et se réjouit de voir que le festival revient à sa tradition : “C’est la gauche résistante qui a créé ce festival.” Le leader du Parti socialiste Olivier Faure a lui aussi affirmé son soutien en déclarant : “Six mois que toute la France conteste. Six mois que nous subissons la volonté d’un seul. Merci, Madame, de garder la nuque raide. Dans un second tweet, le patron du PS a ajouté : “Estomaqué de voir une ministre de la Culture qui pense que, quand on finance un film, on achète la conscience de ses auteurs”.
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