Temple emblématique du septième art, la Cinemateca Portuguesa pourrait être la prochaine proie d’un démantèlement désastreux de l’industrie cinématographique lusitanienne, victime des politiques d’austérité du gouvernement Coelho.
Les secousses de la crise continuent de malmener les institutions culturelles portugaises. Depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition centre-droit en 2011, le ministère de la Culture, rétrogradé en secrétariat d’État, compte ses sous. C’est d’abord l’ICA (équivalent de notre CNC) qui s’est vu sévèrement menacé en 2012, avec un gel provisoire des subventions et donc une paralysie quasi totale de la production durant cette année noire. La loi de refonte du système de financement, passée l’été dernier, a plutôt convaincu dans le texte les cinéastes très mobilisés que sont Miguel Gomes (Tabou), João Pedro Rodrigues (Mourir comme un homme) ou João Salaviza (Rafa). Son entrée en vigueur est cependant toujours attendue.
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La situation de la Cinemateca est différente. Fondée en 1948 sur le modèle de la Cinémathèque Française d’Henri Langlois, elle tire l’essentiel de son financement d’une part de 4% des recettes publicitaires de la télévision, qu’elle partage avec l’ICA. Ces recettes s’étant considérablement amenuisées, l’institution, dirigée par Maria João Seixas, est victime d’un effet domino et souffre donc de déficiences de plus en plus préoccupantes dans son modèle économique. Pire : même l’argent qui lui est du n’arrive pas toujours, retards de paiement lourds de conséquence sur lesquels les pouvoirs publics ferment encore les yeux. Pour ces raisons, la programmation de ces derniers mois n’a pas pu assurer le transport et l’assurance de copies venues de l’extérieur, et s’est ainsi logiquement repliée sur son propre fonds d’archives.
Aujourd’hui, ces complications s’aggravent : si une solution n’est pas trouvée très rapidement, la Cinémathèque devra tout simplement fermer ses portes. Elle a déjà annulé une rétrospective du cinéaste Victor Erice (L’Esprit de la ruche) prévue pour septembre. Aussi sincère que soit le soutien du secrétaire d’État à la Culture Jorge Barreto Xavier, qui s’est engagé à ne pas laisser l’institution fermer, l’équipe est moins optimiste : « je sais que, malgré son enthousiasme, il peut difficilement aller chercher les fonds », a déclaré Maria João Seixas au journal Público. La plus grande inquiétude concerne le fonds patrimonial, l’Archive nationale des images en mouvement (Anim), car faute de structure pour entretenir ses ressources, c’est toute une partie de l’histoire artistique du Portugal qui est menacée de disparition pure et simple.
Contacté par téléphone, le cinéaste João Pedro Rodrigues s’est ému de cette situation, mais affiche une résignation abattue : « cela ne me surprend pas. La politique culturelle de ce gouvernement est placée sous le signe du désinvestissement le plus total. » Le réalisateur, qui a notamment signé O Fantasma, et plus récemment La Dernière Fois que j’ai vu Macao, fait partie d’une génération d’auteurs lusitaniens très estimés à l’étranger, primés en festival, emmenée par Miguel Gomes (Tabou) mais aussi par le producteur Luis Urbano (O Som e a Fúria), qui s’étaient déjà mobilisés en 2012 par le biais de pétitions et de manifestations très remarquées. Interrogé sur le paradoxe que constitue ce désengagement des pouvoirs publics à l’égard de ceux qui incarnent pourtant le rayonnement culturel du Portugal, Rodrigues ne mâche pas ses mots : « ils s’en foutent ». Le metteur en scène reste néanmoins positif, dans l’espoir que ces cris d’alarme permettent à la Cinémathèque de se remettre à flots.
« C’est une des plus belles cinémathèques du monde. Si elle venait, ce que je n’ose pas croire, à disparaître, ce serait une catastrophe. Le secrétaire d’État a immédiatement fait une réaction après l’annonce… mais ce qui manque, en ce moment, c’est de l’action. »
Luis Urbano, producteur de Miguel Gomes et du dernier film de Manoel de Oliveira (Gebo et l’ombre), ne croit pas à un scénario catastrophe, mais attend maintenant une réponse politique forte : « les contributeurs astreints par la loi de 2012 à reverser une partie de leurs recette publicitaires ont refusé de le faire. Les pouvoirs ne font rien : il faut faire appliquer la loi, casser les licences d’exploitation. Sinon, je peux tout aussi bien ne pas payer mes impôts ». L’indifférence politique face à un des cinémas les plus vigoureux au monde s’y mesure en un chiffre : le montant annuel des subventions allouées au cinéma portugais n’excède pas dix millions d’euros.
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