Chantier ouvert au public. Jean Epstein fut théoricien, poète, cinéaste. Dans son oeuvre inégale, deux splendeurs visibles aujourd’hui. La hype qui agite depuis deux ans le Landernau théoricien autour de Jean Epstein peut être accueillie avec autant d’attention que de soupçon, tant ce retour à Epstein n’est pas dû à son seul cinéma. Indiscutablement, il […]
Chantier ouvert au public. Jean Epstein fut théoricien, poète, cinéaste. Dans son oeuvre inégale, deux splendeurs visibles aujourd’hui.
La hype qui agite depuis deux ans le Landernau théoricien autour de Jean Epstein peut être accueillie avec autant d’attention que de soupçon, tant ce retour à Epstein n’est pas dû à son seul cinéma. Indiscutablement, il ne s’agit pas ici de réévaluer une oeuvre de quarante films, dont seuls sept ou huit sont réussis. Non, ce sont les mots qui ont travaillé : la force poétique de définitions du cinéma comme « coupe mobile du temps » (Deleuze) ou « poussières de lumières » (Schefer) ont fini par rencontrer leur illustration dans les ralentis de La Chute de la Maison Usher et les accélérations au montage de ses films sous collures (Coeur fidèle, La Glace à trois faces…). Doute:
Epstein serait-il moins un cinéaste qu’une commode théorique dans laquelle on range ses propres affaires ? L’équilibre semble rectifié aujourd’hui, à la fois par la ressortie de deux films parmi les plus représentatifs de ses recherches plastiques (La Chute de la Maison Usher inspiré d’Edgard Poe et La Glace à trois faces d’après Paul Morand) et par l’édition d’un colloque augmentée d’analyses de films inédites et de six textes rares d’Epstein sur la poésie, la kabbale, Freud ou son amour de la mer. L’ensemble, sous-titré Cinéaste, poète, philosophe, parcourt une pensée à trois faces nuancée dans ses liens avec le modernisme artistique (Man Ray, Cendrars, Apollinaire…), cristallisée autour de son idéal philosophique (Bergson, Kant), ramenée à ses apports théoriques majeurs (théorie de la fatigue, cinégénie du gros plan, intelligence de la machine…), amarrée, toujours, à la topologie insulaire qui lui est propre.
Deux films accompagnent donc cette publication. La Glace à trois faces est un manifeste art déco pour un cinéma grisé, une ode à la vitesse, à l’érotisme désordonné des corps, aux mouvements de toupie des voitures, film dans lequel on peut lire en filigrane une mélancolie insondable : celle de l’homme-machine, vu par amputation, orgie de gros plans et de surimpressions. Film qui invente aussi une langueur par quelques instants solaires, retranchés : un après-midi à une terrasse de café, un marché aux poissons… La Chute de la Maison Usher est le prolongement sombre de La Glace… avec ses ralentis, la lenteur atonale des gestes, l’échec de leur enchaînement, un cinéma de la fatigue où le temps se défile. C’est une offrande théorique où Epstein modèle la pellicule, cadre la mélancolie comme essence cinématographique. Deux films immenses à voir autant en salles pour en subir la vitesse qu’en vidéo pour capturer quelque chose de ce cinéma du photogramme dans nos magnétoscopes-machines.
Jean Epstein, cinéaste, poète, philosophe sous la direction de Jacques Aumont (Editions Cinémathèque française), disponible avec une vidéo des deux films précités (Les Films de l’Atalante/Cinémathèque française)
Nabih Azya
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