Sur Henri, le site de streaming de la Cinémathèque française dédié aux raretés, une plongée, à la fois onirique et documentaire, parmi la scène punk-rock parisienne.
Au milieu de la place trône une des plus vieilles fontaines de Paris, construite au Moyen-Age, plusieurs fois refaite, plusieurs fois déplacée de quelques dizaines de mètres : la fontaine des Innocents, sur la place Joachim-du-Bellay, à l’embouchure de la rue Saint-Denis. Elle qui a eu plusieurs vies bénéficie en cette fin des années 1970 d’une nouvelle cure de jouvence. Le quartier où elle est sise connaît un prestige nouveau.
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De nouvelles halles, à l’architecture gentiment futuriste, viennent d’être inaugurées et une population d’un type inédit zone dans le quartier. Qui sont ces jeunes gens bigarrés qui toute la journée se regroupent désormais autour de la vieille fontaine ? Les punks de Paris. Une tribu forcément minoritaire (punk et français, un oxymore ?) mais pourtant vivace et, finalement, de façon certes souterraine, durablement influente.
Des live d’Edith Nylon, Marquis de Sade, Astroflash
Les premiers plans de La Brune et Moi restituent avec une grâce documentaire ensorcelante cet air de Paris 1979. Ils sont vingtenaires, leurs cheveux sont hérissés et multicolores. Ils se regroupent, s’embrassent. Même en plein jour certains paraissent bien stone. Ils sont tout à la joie d’être jeunes et modernes, se savent à la pointe de leur temps. Qui, bien sûr, sera bien éphémère. Coulera comme de l’eau de leur fontaine. Innocents.
La Brune et Moi est leur film. Tourné en trois semaines courant 1979 par Philippe Puicouyoul. Le film est à peine une fiction. Une vague trame reprend celle de La Blonde et Moi. Le film de Frank Tashlin baladait la silhouette cartoonesque de Jayne Mansfield dans la scène rock en pleine ébullition de 1956 (avec en guests Little Richard, Eddie Cochran, Gene Vincent…).
Un amateurisme revendiqué
Toutes proportions gardées, La Brune et Moi organise une visite similaire parmi la scène punk-rock française, avec en guise de Jayne Mansfield une jeune punkette assez peu pin-up, plutôt féline écorchée, Anouschka. Anouschka assure quelques intermèdes dialogués avec Pierre Clémenti pour pygmalion, dans le rôle du producteur qui la découvre et veut la propulser star.Autant de prétextes à enchaîner les live d’Edith Nylon, Marquis de Sade, Astroflash. On entend Taxi Girl mais on ne les voit pas. Les Stinky Toys sont étrangement absents.
Récit cacochyme, mise en scène informe, le film ne vise pas autre chose que l’amateurisme revendiqué propre à l’esthétique punk. Sa principale vertu est d’avoir été là et documenté une scène, une faune, une génération. Philippe Puicouyoul avait précédemment monté un film réalisé par Pierre Clémenti (New Old en 1979) et l’a convaincu de participer au film. Sa présence est ce que le film a de plus beau.
Il est le fantôme d’une autre scène, une autre faune, une autre génération (68, l’utopie hippie, les rêves de grand changement). Sa beauté est un peu fanée, sa maigreur toujours plus inquiétante, il a 37 ans mais paraît plus. Il évolue parmi ces jeunes gens modernes comme un vampire triste. Le film lui confère le privilège de commenter l’action en voix off. Il vient d’un monde d’avant, mais regarde ce présent en ébullition avec le recul d’un monde encore postérieur, le désenchantement de celui qui sait déjà qu’il y aura un monde d’après. Il se glisse dans le film comme une vanité en peinture.
La Brune et Moi de Philippe Puicouyoul, avec Pierre Clémenti, Anouschka (Fr., 1979, 50 min) sur Henri, cinematheque.fr
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