Fil rouge de cette passionnante édition du Festival de Berlin, ponctuée d’un palmarès réjouissant, des femmes en fuite chez Hong Sang-soo, à New York ou en Arabie saoudite. Et quelques belles échappées documentaires.
Cette 70e Berlinale a accouché d’un palmarès assez réjouissant. Si nous n’avons pas pu voir l’Ours d’or, There Is No Evil, le film sur la peine de mort du réalisateur iranien dissident Mohammad Rasoulof, et raté Effacer l’historique, la comédie traitant de l’emprise de la technologie signée par le duo français Delépine/Kervern (prix du 70e anniversaire), le reste du palmarès récompense trois des meilleurs films vus en compétition.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le prix de la mise en scène revient à Hong Sang-soo pour The Woman Who Ran, que l’on peut traduire par « la femme qui courait/se sauvait/fuyait » et dans lequel le réalisateur filme à nouveau son actrice fétiche et compagne Kim Min-hee. Le personnage qu’elle incarne profite du voyage d’affaires de son mari pour rendre visite à trois anciennes amies. Comme elle le répète aux femmes qu’elle rencontre successivement dans le film, elle n’a jamais passé un seul jour sans lui depuis qu’ils se sont mariés il y a plusieurs années. Il se joue dans le pèlerinage extraconjugal une forme de proclamation d’une sororité retrouvée.
C’est cet espace féminin que Hong Sang-soo décide de mettre en scène. Les hommes qui apparaissent brièvement sont filmés de dos (on ne verra pas leur visage), sur le pas de la porte d’habitations dans lesquelles ils n’entreront jamais. L’avenir nous dira si ce film n’était qu’un pas de côté cynique et un peu opportuniste ou une véritable reconfiguration du système Hong Sang-soo, qui imiterait ainsi son maître Rohmer qui passa du côté des femmes avec La Femme de l’aviateur (1981).
Le grand prix du jury a été attribué à un autre film de femme en fuite, Never Rarely Sometimes Always d’Eliza Hittman. Jusque-là connue pour être l’autrice du très beau Les Bums de la plage (2017), la réalisatrice américano-britannique suit dans ce nouveau long métrage le parcours d’une adolescente de l’Amérique profonde qui fugue à New York pour y avorter. A nouveau, le film se place intensément du côté de l’expérience féminine, notamment lors de cette terrible scène où une assistante sociale questionne la jeune femme sur les abus dont elle aurait pu être victime selon une échelle graduelle (jamais, rarement, quelquefois, toujours).
On se réjouit également du prix d’interprétation féminine remporté par Paula Beer pour Ondine de Christian Petzold. Variation contemporaine sur le mythe de cette naïade aimant les humains mais devant les tuer si ceux-ci se déprennent d’elle, le film décline sa romance entre une historienne de l’urbanisme berlinois et un scaphandrier avec d’infinies variations aquatico-poétiques. Il touche souvent au sublime, dans des moments d’une incandescence folle, qui encapsulent le sentiment amoureux dans ce qu’il peut avoir de plus fusionnel.
On regrette en revanche que First Cow de Kelly Reichardt soit reparti les mains vides. La réalisatrice y poursuit ses portraits minimalistes des territoires du Nord-Ouest des Etats-Unis, cette fois à l’orée du XIXe siècle. Le charme infini du film repose sur une inversion totale des codes du western. La figure mythique du hors-la-loi est ici incarnée à travers la bromance de deux hommes au trajet buissonnier, l’un immigré chinois débrouillard et l’autre dépeint en véritable féetaud (masculin pour fée) du logis.
Citons pour finir trois documentaires magnifiques. Tout d’abord Si c’était de l’amour de Patric Chiha, Petite Fille, où la caméra de Sébastien Lifshitz épouse le combat d’une enfant transgenre, et enfin Saudi Runaways de Susanne Regina Meures. Cet extraordinaire documentaire raconte la fuite d’une jeune femme hors d’Arabie saoudite. Avec son téléphone portable dissimulé sous le voile de son niqab, la courageuse Muna filme son quotidien et planifie son évasion.
Outre son suspense absolument insoutenable (c’est sa vie qui est en jeu), le film fascine en tant qu’enregistrement des conditions de vie d’une population jusque-là invisible : les femmes vivant sous un régime monarchique islamique.
{"type":"Banniere-Basse"}