Une fillette danse devant ses camarades admiratifs… Un conte bref sur l’enfance, ses espoirs et désillusions, par l’un des pères du cinéma lituanien.
Inge a 9 ans, de grands yeux que l’on imagine bleus, des cheveux blonds, des taches de rousseur. Elle vit en Lituanie, qui en 1969 est une république autonome de l’Union soviétique, et son jeu préféré consiste à se placer au milieu d’un cercle formé par un groupe d’enfants, tourner sur elle-même et recueillir des compliments. Elle appelle ça “la belle” ; aujourd’hui ça s’appelle Instagram.
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Tous les jours, Inge joue à “la belle” et s’entend dire, par ses followers,
à quel point elle est jolie. Jusqu’au jour où un nouveau camarade de classe, grossier et dédaigneux, refuse d’entrer dans la ronde et lui soutient, sans ambages, qu’elle est laide. Vérifiant l’adage selon lequel un reproche annule cent compliments, le monde d’Inge s’effondre, et il lui faudra dès lors découvrir où se trouve la soi-disant beauté – elle sera là où elle ne l’attend pas, bien sûr.
C’est un même plan, hypnotique, qui ouvre et clôt le film : un travelling circulaire, figurant le monde idéal, innocent et autocentré de l’enfance. Entre les deux s’intercale une heure, dont chacune des séquences, reliées moins par un enchaînement chronologique que par des rimes poétiques, pourrait être un court métrage parfait. Une heure de conte buissonnier, pour raconter l’autre, l’attente, l’espoir et la déception, de la façon la plus simple, la moins pompeuse qui soit.
Arunas Zebriunas, un des pères du cinéma lituanien selon les spécialistes, est aussi virtuose que n’importe lequel de ses camarades passés par la VGIK (l’école de cinéma soviétique), et il compose chacun de ses plans (souvent séquences) en architecte méticuleux. Mais on sent que la modernité cinématographique est passée par là, portant avec elle une certaine rugosité, un goût pour la rupture (de ton, de style), l’hétérogène et l’absurde. Le non-sens l’emporte sur le sens et le silence sur le son, cependant que la musique, sublime, vient, en ritournelle fidèle, piocher dans nos émotions.
Moins directement politique que certains de ses contemporains (Milos Forman en Tchécoslovaquie, Andrzej Wajda en Pologne, Miklós Jancsó en Hongrie), Arunas Zebriunas l’est tout de même, subtilement, en filmant une ville qui s’ennuie, se languit et s’affaisse. Dans le quartier populaire aux murs décatis qui sert de décor au film, loin de tout effet carte postale, tout le monde attend quelque chose : une mère son amant parti, un chien son maître noyé, des femmes leur tour chez le coiffeur (scène extraordinaire, quasi digne de Tati), un enfant qu’un balai fleurisse, un vieil homme, enfin, que le temps passe et que par le souvenir sa maison détruite repousse. “Parfois, la vérité est plus amère qu’un mensonge, lancera-t-il au petit con en marinière. Parfois, la vérité est dite par des salauds.” On like.
La Belle d’Arunas Zebriunas, avec
Inga Mickyte, Lilija Zhadeikyte, Arvidas Samukas (Lit., 1969, 1 h 05, reprise)
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