Un best-seller du romancier japonais Haruki Murakami adapté avec habileté par l’auteur du vieux hit exotique, L’Odeur de la papaye verte.
C’est une histoire simple. Elle se déroule à la fin des années 60 au Japon. En pleine période de révoltes estudiantines, deux adolescents, Watanabe et Kizuki, forment une petite bande avec une fille, Naoko, amoureuse officielle de Kizuki. Et puis un jour, sans prévenir, Kizuki se suicide. La vie sépare Watanabe et Naoko.
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Deux ans plus tard, ils se retrouvent par hasard. Ils font l’amour. A sa grande surprise, Watanabe découvre que Naoko était vierge. Cette dernière avoue n’avoir jamais réussi à faire l’amour avec Kizuki. Elle disparaît à nouveau.
Watanabe fait la connaissance d’une autre fille, la jolie et coquine Midori, qui l’attire beaucoup. C’est alors qu’il reçoit une lettre de Naoko, qui l’invite à la campagne où elle vit retirée, soignant une grave dépression. Il la rejoint.
Du Vietnamien Tran Anh Hung, nous gardions le souvenir d’un cinéma rutilant, proche d’une certaine esthétique publicitaire des années 90. L’Odeur de la papaye verte (Caméra d’or à Cannes en 1993 et César de la meilleure première œuvre de fiction en 1994), qui l’avait fait connaître, nous avait toujours semblé chichiteux, un peu trop attentif à ses nuances subtile, et sans chair.
Et puis, après Cyclo (Lion d’or à la Mostra de Venise en 1995) et A la verticale de l’été (à Cannes, section Un certain regard en 2000), dans la même lignée jolie, Anh Hung avait semblé disparaître du circuit international (un film jamais sorti en France).
A vrai dire, la première bobine de La Ballade de l’impossible fait d’abord craindre le pire. Encore une histoire d’amour mise en conserve. Cette adaptation du roman d’Haruki Murakami – l’un des écrivains contemporains nippons les plus lus en France – commence donc plutôt mal, dans les pas du Tran Anh Hung d’antan et de son académisme sans vie (image léchée, acteurs décoratifs).
En quelques scènes trop policées pour être honnêtes, tout est posé avec esthétisme des liens sentimentaux qui unissent les personnages principaux, si jeunes, si beaux, si propres sur eux.
Certes, la mort rôde déjà, mais elle semble abstraite. Et puis, surprise, dès que Watanabe retrouve Naoko dans son séjour pastoral, le film de Tran Anh Hung, peut-être grâce à Murakami et à son érotisme franc, entre dans une autre dimension : sexuelle, maladive, névrotique. Les deux heures qui suivent, épuisantes, éprouvantes pour les personnages, ne montreront plus que des êtres en souffrance se heurtant sans fin contre des murs invisibles qui les empêchent de vivre, d’aimer et de s’aimer physiquement.
La passion enfiévrée qui unit Watanabe et Naoko ne peut nous laisser de glace. Nous voici embringués dans une histoire de sperme, de sueur, de sang, qui nous atteint nous aussi. La Ballade de l’impossible, débutée sous le signe des Beatles (Norwegian Wood est le titre anglais du film), devient une suite de variations, un chant long et douloureux qui répète sans pouvoir y échapper les mêmes chagrins dans des tons à la fois différents et proches.
Certes la nature, chez Anh Hung, est toujours un peu trop belle, et le cinéaste, à l’instar parfois d’une Naomi Kawase, se laisse prendre à sa contemplation extatique. Mais toujours, contre ce défaut, quelque chose empêche le film de nous laisser indifférents. Là où les films précédents de Tran Anh Hung frappaient par un refus de la chair ou tout au moins par une gêne évidente à filmer les corps dans leur crudité, La Ballade de l’impossible appelle un chat un chat.
Une fois de plus, c’est la fièvre des personnages qui emporte tout, celle qui habitait par exemple deux sœurs dans Les Deux Anglaises et le Continent de Truffaut, ou la passion de Lady Chatterley et de son amant chez Pascale Ferran.
C’est par cet interstice infime, cette petite faille tripale dans le système très stylisé du cinéaste Anh Hung, que s’infiltre la vie, et donc la mort, tout entières synthétisées dans le mal qui empêche Naoko d’avoir des relations sexuelles et de vivre : c’est ce petit élément qui empêche le joli cinéma de Tran Anh Hung de n’être que ce qu’il est, et de nous offrir en échange le spectacle charnel des liens qui unissent au quotidien Eros et Thanatos.
Jean-Baptiste Morain
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