Déjà coscénariste des Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin, Léa Mysius sort à 28 ans son premier film, Ava, vu à Cannes. Une ode solaire à l’émancipation adolescente qu’elle a obstinément refusé de tourner en numérique.
Regard franc, sourire sympathique, parole simple, cash et dénuée de frime ou de faux mystère, Léa Mysius se présente au premier contact comme une jeune femme “normale”, ni spécialement timide, ni les chevilles ou la tête enflées. Il y aurait pourtant de quoi puisqu’elle vient de signer Ava, qui a fait le buzz à Cannes (à la Semaine de la critique), tout en étant cosignataire du scénario des Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin, qui faisait l’ouverture du festival, hors compétition. Et elle a déjà été enrôlée par André Téchiné pour coécrire son prochain film. Tout va donc très vite pour cette jeune fille qui a grandi dans le Médoc.
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Dans le coin de Gironde de son enfance, il y avait peu de salles de cinéma, mais Léa et sa sœur jumelle avaient la chance d’avoir des parents cinéphiles, qui leur montraient beaucoup de films en cassettes. “On regardait beaucoup La Nuit du chasseur, avant même de savoir lire parce que je me souviens qu’on ne lisait pas les sous-titres. Mais pas besoin de sous-titres pour ressentir ce film qui véhicule de fortes émotions liées à l’enfance. Il comporte des séquences parfois déplaisantes, comme l’arrestation du père au début, mais je n’ai pas souvenir d’avoir eu peur.”
“Ainsi, on pouvait faire du cinéma littéraire, romanesque”
Adolescente, elle n’est pas particulièrement cinéphile et caresse le rêve de devenir écrivaine. Jusqu’au moment où elle découvre Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) de Desplechin. “Ce film a changé quelque chose en moi. Je me suis rendu compte qu’on pouvait faire du cinéma littéraire, romanesque.”
Elle envisage de faire des études de cinéma mais, quand sa sœur annonce vouloir intégrer la Fémis, elle rengaine son ambition : pas question de faire la même chose que sa jumelle. Finalement, la frangine change d’avis, la voie redevient libre pour Léa qui s’y engouffre. Cela rappelle l’histoire de Sandrine Bonnaire qui accompagnait sa sœur au casting d’A nos amours et sera finalement choisie. Les destins de cinéma tiennent parfois à un léger décalage sororal.
A la Fémis, Léa Mysius rencontre Arnaud Desplechin, qui lui propose de collaborer aux “Fantômes d’Ismaël”
La Fémis est un vivier de jeunes talents autour duquel gravitent cinéastes et producteurs. C’est ainsi que Léa Mysius rencontre Arnaud Desplechin qui lui propose de collaborer à son prochain film, Les Fantômes d’Ismaël. Une sorte de conte de fées qui l’intimide et la réjouit. Mais très vite, elle se replonge dans la réalité du travail.
“Arnaud cherchait quelqu’un sur qui s’appuyer. Il y avait moi et aussi Julie Peyr qui travaillait depuis les Etats-Unis. Julie et moi n’avons pas échangé pendant l’écriture du film, c’est Arnaud qui centralisait tout. Il avait déjà écrit pas mal de séquences, on en discutait, puis j’écrivais des choses de mon côté, on en rediscutait et ainsi de suite.” Elle adore le résultat final, mais la version longue (dite “VO”) est la seule la vraie selon elle.
“Le désir originel, c’est l’image du chien noir sur la plage”
Parallèlement au film de Desplechin, elle travaillait aussi sur son premier long métrage, Ava, centré sur les émois du désir adolescent. Mais l’élément déclencheur fut beaucoup plus beau, mystérieux et singulier que ce pitch de teen-movie : “Le désir originel, c’est l’image du chien noir sur la plage.”
Tout est donc parti de cette vision animalière qui devait amener jusqu’à l’héroïne adolescente. Pendant l’écriture, Léa souffrait de migraines ophtalmiques qui l’obligeaient à travailler dans la pénombre. Cela lui a donné l’idée de la menace d’aveuglement dont souffre Ava, élément scénaristique aux déclinaisons multiples : exacerbation des autres sens, sentiment d’urgence, métaphore de la montée de l’obscurantisme qui rime avec obscurité…
“Je me suis pas mal baladée avec Juan (Cano, acteur du film, d’origine gitane – ndlr) et je me suis rendu compte que sa vie est impossible, on le regarde partout de travers, dans les cafés, les bureaux de tabac, la rue… Le délit de faciès est omniprésent. Son personnage est inspiré d’un Gitan qui était dans ma classe au lycée et qui était tout le temps mal vu par les profs.” Ou comment Léa Mysius travaille, comment elle transforme des éléments vécus en bribes de récit, en personnages, en visions ou métaphores.
“Avec la pellicule, c’était tout de suite mille fois mieux”
Ce qui unit tous ces ingrédients, c’est sans doute le corps. Son cinéma revêt une dimension charnelle, rehaussée par l’usage de la pellicule 35 mm. Au-delà de son histoire, Ava frappe le regard par sa lumière, sa matière, la dimension vibratile de ses images. “Je tenais vraiment au 35 mm. Tout le monde te martèle que l’argentique est trop cher, trop compliqué, qu’on fait de belles choses en numérique. Mais désolée, avec la pellicule, c’était tout de suite mille fois mieux : les noirs sont plus intenses, c’est plus sensuel, ça fourmille, il y a plusieurs couches dans l’image, ça correspondait vraiment à ce que je recherchais.
On dit que le numérique parvient au même rendu que la pellicule mais ce n’est pas vrai. Et puis pourquoi vouloir retrouver le grain de la pellicule avec le numérique alors que la pellicule existe ? Je ne comprends pas cette logique. J’aimerais travailler le plus longtemps possible en pellicule, mais si ça devient impossible, je me rangerai contrainte et forcée au numérique. L’argentique est pour moi lié au corps, à la peau, à ce que je veux filmer.”
“On a écrit dix mille histoires d’amour, ce n’est pas une raison pour arrêter”
De l’argentique au corps et du corps au sexe, les transitions sont aisées. Ava est sensuel, sexuel, aussi bien frontalement que métaphoriquement. A côté des scènes de nudité et d’ébats divers, on voit un chien lécher des frites sur le ventre d’une jeune fille, des peaux griller au soleil, un blockhaus comme un trou noir interdit, une formation rocheuse striée d’une anfractuosité semblable à une fente…
Cette charge érotique participe de la singularité d’un film qui raconte l’histoire initiatique, a priori banale et mille fois vue, d’une ado qui s’émancipe. “ça correspond à mon vécu. Je reste très sensible aux filles de 13-14 ans, à cet âge où tout bascule. Quand j’écris, je ne me demande pas si mon histoire a déjà été racontée par d’autres, j’avance. On a écrit dix mille histoires d’amour, ce n’est pas une raison pour arrêter.”
Noée Abita, une apparition fulgurante
Ava, c’est aussi Noée Abita, apparition fulgurante, brunette à la moue boudeuse façon Elvis. Trouver une comédienne de plus de 16 ans qui ait l’air d’en avoir 13, qui soit enfantine et sauvage, cela semblait un pari difficile. Mais Noée est apparue dès le premier jour de casting et Léa a tout de suite su que ce serait elle.
Pour Juan Cano, les recherches ont été un peu plus longues et compliquées, notamment parce que “les Gitans sont souvent évangéliques et que ça entraîne beaucoup d’interdits sur la musique, l’image, ce qui est embêtant pour tourner un film. On a trouvé Juan près de Bordeaux, dans la communauté des Gitans andalous.” Belle pioche que ce jeune homme qui exsude le sex-appeal un peu voyou des ados pasoliniens. Chez Léa Mysius, les bruns et les brunes ne comptent pas pour des prunes.
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