Qui est vraiment Courtney Love ? Et qui était Kurt Cobain, le plus célèbre suicidé de l’histoire du rock ? Kurt and Courtney, sulfureux documentaire de l’Anglais Nick Broomfield, tente plutôt maladroitement de répondre à ces questions. A quelques mois de sa sortie en France, nous avons assisté à une projection de Kurt and Courtney à Los Angeles.
Depuis 1980, l’Anglais Nick Broomfield aligne des films qui ont la particularité d’être presque toujours sur des femmes poursuivant une certaine forme de notoriété : toutes mamans et putains à la fois. Il y a eu la comédienne Lily Tomlin, puis Aileen Wuorno (The Selling of a serial killer), puis la jeune maquerelle Heidi Fleiss (Hollywood Madam) et, plus récemment, les dominatrices et mères fouettardes très pot-au-feu de Fetishes. Qu’il pointe sa truffe de terrier et son micro baladeur sur Courtney Love n’était qu’une question de temps.
Kurt était-il seul dans cette serre au-dessus du garage ? Est-il physiquement possible de manoeuvrer une arme et se faire péter les plombs, avec la quantité pantagruélique d’héroïne qu’il avait dans le corps ? Pourquoi Courtney a-t-elle engagé un détective privé pour le retrouver et pourquoi celui-ci (Tom Grant) s’est-il depuis retourné contre elle, allant jusqu’à risquer la ruine pour prouver sa théorie du meurtre bouquins et sites Internet à l’appui ? Kurt voulait-il changer son testament ? Se séparer de Love et quitter Seattle ?
Kurt and Courtney doit surtout sa notoriété à Love elle-même et à la compagnie qui s’occupe de son management. On sait que le film a été retiré in extremis de la sélection à Sundance, ne bénéficiant que d’une projo clandestine, puis d’une projection tout aussi chaotique au Roxie de San Francisco, salle exiguë s’il en est. Pourtant, depuis le 17 avril, le film de Broomfield (amputé des chansons de Nirvana et de Hole, dont il n’a pu obtenir les droits) joue au Sunset Five, en face du Château Marmont, à Los Angeles. C’est qu’entre-temps, Love et ses conseillers ont décidé qu’il était préférable de laisser mourir le film de sa belle mort plutôt que de l’ennoblir à coups de persécutions. Malgré ce qu’elle affirme, Love a peut-être vu le film, du moins ce qu’il y a de mieux dedans, c’est-à-dire elle, à la fin, surprise en flagrant délit de « blonde ambition » et surfant royalement sur les accusations d’hypocrisie : il est vrai qu’en ces temps de promo pour le film horriblement faux-cul de Forman sur Larry Flynt, grand défenseur de la liberté d’expression, l’ACLU (American Civil Liberties Union) avait eu la curieuse idée de demander à Love de donner le discours d’honneur à leur banquet pour réunir des fonds. Un vrai nanan pour Broomfield, qui nous a déjà joué des bandes de répondeur sur lesquelles Love (et ensuite un Kurt particulièrement envapé) se répandent en menaces contre une journaliste britannique qui fut suffisamment impressionnée pour quitter Seattle le soir même. Broomfield nous tient aussi au courant sur les noirs efforts déployés par Love et son management pour faire capoter un hypothétique montage financier avec MTV, qui lui aurait permis de mener à bien son film.
Au lieu de quoi, bien évidemment, Kurt and Courtney n’est ni fait ni à faire. Même si la direction de Sunset Five avait pris soin de mettre sur l’affiche un écriteau interdisant « de mosher (pogoter) dans les allées et de se jeter de l’écran », c’était un triste pied de nez de plus : parce que force nous est de conclure que, comme le soufflait une voisine après la projo, » Sid and Nancy it ain’t. » Nico icon non plus.
De façon bien ringarde, Broomfield commence par le commencement : Aberdeen, le proviseur du collège qui a hébergé Cobain pendant plus d’un an sur son canapé. Tracy Miranda, gentille et pas trop pathétique Betty Page boulotte, « premier et seul amour » de Kurt avant qu’il ne devienne célèbre. Oui, elle l’avait entretenu de bon coeur, jusqu’à ce que sa musique marche. Non, il n’aimait pas ça. Oui, il a sans doute écrit About a girl sur elle. Elle nous montre les dessins que Kurt lui a laissés, parle de la fois où il avait ramené des bouts de bidoche et des « vagins malades » trouvés à la morgue où il travaillait. Oui, Tracy l’avait sans doute materné, comme beaucoup de femmes. Comme la tante Mary, assurément la seule sainte de ce ramassis humain, qui vaut à elle seule le prix du ticket. Pas parce qu’elle nous joue des bandes sur lesquelles Kurt, à 2 ans, chante les Beatles ou babille avec véhémence des trucs sur « Bada », son ami imaginaire, mais parce que Mary raconte Kurt avec le sourire, même les souvenirs pénibles : un esprit incroyable, girl-scout sans doute, mais assez géniale dans sa « normalité » ensoleillée.
Après ça, c’est la cour des miracles : Alice Wheeler, belle camée qui avait le même fournisseur que Kurt et Courtney, parle de ce que la notoriété leur a fait, alors que le vrai sujet du film (bien plus intéressant) est ce que leur succès leur a fait faire, à eux, envieux satellites. Comme de participer à un tel déballage haineux, probablement pour de l’argent. Le très remonté Roz Resabek, chanteur minable que Courtney voulait soi-disant pousser vers la gloire, histoire de faire du saute-mouton dessus, se répand violemment contre Love et son carriérisme. Puis c’est au tour du père de Courtney, le très entreprenant Hank Harrison, anciennement de l’entourage du Grateful Dead, auteur de Kurt Cobain, beyond Nirvana et de Who killed Kurt Cobain’ C’est à ce stade qu’on se met à arrêter d’y voir clair, parce que ces personnages sont tout bonnement fascinants. Ils sont clairement là pour des raisons mercenaires, mais leur monstruosité repousse à l’arrière-plan celle, supposée, de Love. Qui, du coup, s’en sort plutôt bien les rares fois où elle apparaît, même avec sa nouvelle touche néo-Sharon Stone mâtinée de Bette Midler. Il faut entendre son pater de l’enfer expliquer son concept du « tough love » (amener des pitbulls dans la maison, pour l’en faire partir), ou éructer : « I got your number, girl! » (« Je continuerai à te botter le cul ! »).
Juste comme on a furieusement envie de prendre une douche, Broomfield aggrave son cas en rameutant des intervenants encore plus douteux, dont El Duce, foireux catcheur-biker reconverti dans le rock sado-inquisition, qui prétend que Love lui a proposé 50 000 dollars « pour ratatiner Cobain » en fait, c’est lui, El Duce, qui se fera ratatiner quelques semaines plus tard, en embrassant un train en marche ; ou encore un duo de paparazzi nommés Al et Jack, au style journalistique encore plus embarrassant que celui de Broomfield.
C’est tout de même l’envapé et à peine poli Dylan Carlson, compagnon de dope de Cobain, qui lui a acheté le flingue et qui a accompagné le détective Tom Grant dans la maison, sans le trouver, qui prononce les seules paroles un peu sensées : « Il était juste déprimé parce que tout le monde était après lui pour qu’il arrête la dope. Mais lui n’avait aucune raison d’arrêter, c’est pas comme s’il lui avait fallu braquer une station-service pour s’acheter sa came. C’était même la seule chose sur laquelle il aimait claquer son fric. » Et pour couper court aux théories de conspiration : « Si je pensais vraiment que quelqu’un l’avait tué, je le buterais moi-même. » Peut-être que le bestiaire de Broomfield serait plus convaincant s’il nous montrait ses intervenants en train de se faire payer pour parler, comme il l’avait fait dans son film sur Heidi Fleiss l’arsouille comptant ses 2 500 dollars n’était autre que Daryl Gates, alors chef du LAPD (Los Angeles Police Department) !
Le plus étonnant dans tout ça, c’est la façon dont Courtney Love sort purifiée de ces noirceurs, libérée de ses contradictions, comme une Jeanne radieuse après le bûcher. Dans sa glorieuse logique d’aventurière : « Je ne vois pas pourquoi il me faudrait m’expliquer sur des conneries que j’ai faites ou dites quand je ne savais pas ce que je faisais. J’ai été élevée dans une communauté, moi, merde. » Courtney n’est peut-être pas Nancy, mais elle n’est pas non plus Yoko Ono. Queen Bitch ou Veuve Joyeuse, peut-être, mais elle a le public pour elle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Nick Broomfield, Kurt and Courtney
{"type":"Banniere-Basse"}