Jean-Marie Straub réaffirme l’idée communiste, en un trajet à travers son cinéma vers la « vie nouvelle ».
Dans le noir initial retentit un hymne, Auferstanden aus Ruinen, “Ressuscitée des ruines”, composé par Hanns Eisler pour la RDA. Jean-Marie Straub, cinquante-deux ans après le premier des films qu’il a faits avec Danièle Huillet, insiste. Ou plutôt, quelque chose insiste qui passe par ce film et nous est balancé à la figure. Quelque chose, que dans le film les hommes nomment “la nostra cosa” ou “le rêve d’une chose” selon une expression de Marx. Ces hommes sont ceux du titre, les communistes ou les hommes ensemble, si ce n’est l’ensemble des hommes. “Coup fourré contre la mort des idéologies” Kommunisten déploie sur notre époque sa nouvelle logique des blocs.
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Des blocs : question de poétique, de composition avant tout. Le premier bloc du film est nouveau, tourné en 2014, d’après des morceaux d’un roman de Malraux, Le Temps du mépris. En trois temps, l’interrogatoire, la torture et le retour au foyer de deux communistes allemands en 1934. Du livre, Straub garde le plus concret, le plus pratique : les corps résistent à la folie, tout en devant s’y abandonner pour survivre. Endurer et fléchir, pour une seule idée qui n’est autre que cette résistance-là, physique, qui fait bloc. Les autres plans viennent de cinq autres films de Straub et Huillet, formant un parcours d’épreuves ou un étroit passage qui ouvre sur une promesse infinie.
Des blocs : calmes ou furieux, qui se posent à nous comme des monuments, aux morts et aux vivants. Les panoramiques de 1976 extraits de Fortini/Cani sur les paysages des Apuanes italiennes où les nazis massacrèrent résistants et habitants, et le long plan, insensé, de Trop tôt, trop tard à la sortie d’une usine en Egypte, présentent la tension du film entre document et monument, entre l’adresse brute et le patiemment déchiffrable, entre ce qui nous incombe actuellement et la mémoire de l’âme communiste partout où elle a enduré et fléchi.
Des blocs : capitalisme, nazisme, fascisme, colonialisme, contre leur autre qui insiste. Leur autre qui prend encore le nom de cinéma quand il débloque tout ce qui empêche l’accès au “rêve d’une chose”. La sobriété terrienne de Kommunisten met en place pour nous l’émotion la plus active, sa droiture nous jette dans la folie. Là où il s’agit de l’histoire, il s’agit du Nouveau éclatant, de la “vie nouvelle” qu’annonce Hölderlin en haut du volcan d’Empédocle, dans l’avant-dernier bloc de vert et de bleu adorable. Le commencement réel est ce qui continue, ce que nous avions sans y regarder, Nature ou communauté, ou amour, ou vie.
1934 et 2014, le héros retourne chez lui, la femme prend sa main, l’amène à sa joue. C’est un film-somme, si l’on conçoit la somme comme un genre mineur : point le plus haut, opération positive, anthologie, mais selon une stratégie précise, modeste. Comment établir des rapports entre les blocs, et de leur tension faire jaillir l’étincelle, le coup de rein pour sortir de la grande impasse ? Une somme par soustraction : un bloc enlève l’autre (ne le relève pas, ne le dépasse pas), et ainsi arrive à la chose, notre chose qui est identique à son rêve une fois pris conscience de ce qui les bloquait. “Le plus difficile, c’est le libre usage de ce qui nous est propre”, écrivait Hölderlin. Nouveau monde ? Le film se termine avec ces mots dits par Danièle Huillet, la disparue qui insiste, sur un quatuor que Beethoven intitula La Décision difficilement prise. A quoi les Straub, et les choses, nous invitent.
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