Le nouveau film de M. Night Shyamalan fascine dans son dispositif, et dans ce qu’il convoque de la filmographie de son géniteur, avant de s’égarer dans une conclusion idéologiquement douteuse.
C’est un jeu pervers auquel on se prête enfant, un dilemme impossible qu’on soumet à ses copains pour éprouver leur moralité : “si tu étais obligé de tuer un de tes parents, ce serait lequel ?” Pour peu que l’équation paraisse insoluble, on ajoutait alors une condition chargée de forcer la réponse : “sinon c’est la fin du monde”. De ce petit jeu cruel, version pervertie du classique “tu préfères maman ou papa ?”, M. Night Shyamalan, jamais avare en concepts retors, tire le dispositif de son nouveau film.
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Les parents en question sont Andrew (Jonathan Groff) et Eric (Ben Aldridge), couple homoparental parti en vacances dans un charmant chalet au fond des bois avec Wen, leur fille adoptive. Leur séjour se transforme en cauchemar éveillé lorsqu’un groupe de quatre étrangers, du genre illuminé·es, mais pas vraiment conformes à l’image de l’envahisseur malfaisant, prend en otage la petite famille, et exigent qu’ils sacrifient l’un·e d’elleux, sans quoi une série de catastrophes déclencherait l’apocalypse.
Croire ou ne pas croire ?
Partant de là, Shyamalan, qui adapte ici un roman de Paul G. Tremblay paru en 2018, reformule l’interrogation essentielle (et existentielle) de sa filmographie : croire ou ne pas croire. Croire ou ne pas croire aux fantômes (Sixième sens), aux extra-terrestres (Signes), aux super-héros (Incassable), à la vaste supercherie imaginée par un groupe de villageois (Le Village), ou ici à une hypothétique apocalypse laissée hors-champ, dont on ne perçoit les indices (falsifiés ou non, c’est la question) qu’à travers un poste de télévision, et les breaking news alarmantes qu’il diffuse : une pandémie qui paralyse la planète, un tsunami qui engloutit la côte ouest américaine, des avions qui s’écrasent par centaines… Chaque fois que Wen et ses deux papas refusent de sacrifier l’un·e d’elleux, c’est un des quatre étrangers qui est exécuté par les siens, retardant l’apocalypse mais déclenchant l’un de ses fléaux annonciateurs.
De ce dispositif ludico-pervers, Shyamalan tire un récit de home invasion rendu trouble par le profil de ses curieux oppresseurs (moins malveillants qu’implorants) et enfiévré par les angoisses millénaristes qui, de Signes à Phénomènes, ont toujours contaminé l’œuvre du cinéaste.
À cet égard, Knock at the Cabin entortille avec brio les motifs shyamalaniens pour en extraire une forme de substrat théorique : le dérèglement du monde observé par la petite lucarne d’une vieille maison isolée de tout (comme dans Signes), une succession de phénomènes inexpliquées qui présage l’apocalypse (comme dans Phénomènes), une famille emprisonnée à huis clos (comme dans Signes, Le Village, The Visit et Old), et une méditation inquiète sur la croyance (comme dans la majeure partie de sa filmographie).
Une fin en point d’interrogation
Un récit parfaitement cadencé par la mise en scène et le sens du suspense de son réalisateur, autrefois prodige aujourd’hui chevronné, qui peut aussi compter sur des personnages finement écrits (à l’inverse de Old, qui les sacrifiait sur l’autel de son concept, génial par ailleurs) comme l’improbable Leonard (campé par l’acteur et catcheur David Bautista), chef des quatre étrangers et montagne de muscle dont le physique induit en erreur sur la douceur de son caractère, mais reste nécessairement menaçant au vu de la situation.
Sauf que voilà, passé le récit de home invasion, le film s’engouffre, dans son dernier quart, dans des considérations idéologiquement douteuses. Si on se garde d’en révéler la nature exacte (twist final oblige), il y est question de négociations mystico-évangéliques pour préserver l’humanité de sa chute, et du destin de la planète conditionné par des rites obscurantistes. Avions-nous vraiment besoin d’une conclusion qui rétrécisse à ce point les enjeux d’une fin du monde, de surcroît à l’heure où celle qu’on ne cesse de pronostiquer est le fait d’un dérèglement climatique, et donc des humains ? Mais comme souvent chez le cinéaste, le twist final, et l’idéologie qu’il propage incidemment, importe moins que la virtuosité du dispositif qui le met en place.
Knock at the Cabin de M. Night Shyamalan, avec Jonathan Groff, Ben Aldridge, Dave Bautista (États-Unis, 2023, 1 h 40). En salle le 1er février 2023.
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