Le retour explosif et graphique des agents aux costumes bien taillés. Dans une orgie de références pop, une régurgitation ébouriffante de tout ce qui constitue le contemporain.
Les journalistes ne sont pas toujours très imaginatifs. Un smoking bien coupé et une valise de gadgets leur auront en effet suffi à faire de Taron Egerton, dès sa révélation par Kingsman en 2015, un des principaux prétendants à la succession de Daniel Craig.
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Deux ans plus tard, cette hypothèse un peu trop évidente est déjà partie aux oubliettes. Certes, parce que Craig a décidé de rempiler. Mais surtout parce qu’il est désormais clair que les costumes d’Eggsy (héros mi-caillera mi-espion de la jeune franchise) et de James Bond ne sont pas cumulables, voire que l’un est en passe de ringardiser l’autre. Oui : d’abord perçu comme un énième ersatz pop de 007, Kingsman tient aujourd’hui plus volontiers du challenger prodige, à l’heure où la franchise de papounet macère dans le Martini dry, bercée par les tirs de silencieux et les resucées méta.
Si le deuxième épisode ne peut pas vraiment rééditer l’effet de surprise produit par son prédécesseur et son irrévérence absurde, frisant la démence, il en confirme néanmoins la direction et élève même la saga naissante au rang de seule franchise d’espionnage véritablement connectée à son époque.
La violence de Kingsman n’est pas contenue, chic et feutrée : elle est explosive, graphique, à la fois gore et propre, mariant le défoulement revigorant d’une partie de shoot’em up à une mélopée publicitaire lobotomisée – à l’instar de Julianne Moore (géniale en Terminator-femme au foyer), patronne sanguinaire d’un cartel militarisé dont la base secrète est décorée en carte postale fifties, avec son diner, son barbier et son music-hall.
Dans cette suite, on se maintient toujours à un fil du bad trip, du vertige hallucinogène et autodestructeur. Après la drogue électronique planquée dans un smartphone transformant son utilisateur en machine à tuer (dans le premier épisode), voici donc un poison mortel et hystérisant inoculé dans les produits du narcotrafic planétaire, comme si ces intrigues de supervilains et de sauvetage du monde gardaient un ecsta dans leur poche pour le gober au moment opportun.
Délirer, déglutir l’époque, user de ses vices et de ses obsessions comme d’un coffre à jouets à la disposition de son scénario de BD gavé de sucre et de nitroglycérine. Kingsman ne va pas chercher son répertoire de genre dans les ténébreux secrets du contre-espionnage mondial, mais dans le réacteur en surchauffe de la pop culture hégémonique.
Et voilà bien ce qui rend en premier lieu la licence “concernante”, pour employer un terme de marketing (ça ne choquerait sûrement pas ses scénaristes) : ses intrigues ont toujours quelque chose à voir avec la consommation de masse (drogue, high-tech, en attendant qu’un prochain épisode se penche sur le porno, Netflix ou les hand-spinners), ses bad guys font moins chefs de guerre que néogourous ultrabrandés, soignant leur com et leur univers de marque, doublant les puissances mondiales en sirotant leur Coca, plus proches de Mark Zuckerberg que de Kim Jong-un.
A l’arrivée, le film ressemble à une purge (au sens de catharsis, pas de navet) : un lieu de libération des fantasmes et de retour du refoulé, dont il n’est évidemment pas anodin qu’il s’offre la tocade de mettre sous les verrous un président américain autoritariste, voyou et irresponsable. Tocade, oui : la charge vaut moins comme tir ultraperçant sur la figure de Trump et son identité politique que comme plaisir régressif, voire comme vengeance facile – même si la cible ne laisse pas beaucoup de place au doute.
Taron Egerton ne jouera pas James Bond : il est trop jeune, turbulent, teuffeur et prolo – n’oublions pas que le héros est d’abord un pur produit des ghettos de la périphérie londonienne. C’est à ce titre qu’il faut savourer le choix fait par l’acteur pour la suite de sa carrière, parmi l’éventail de la mythologie britannique : entre deux prochains épisodes, il prêtera ses traits à Robin des Bois.
Kingsman : le Cercle d’or de Matthew Vaughn (G.-B., E.-U., 2017, 2 h 21)
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