A l’origine, en 1970, ce film ne fut diffusé qu’aux seuls Etats-Unis. Un document précieux qui donne à entendre et à voir le courage de Martin Luther King et de ceux et celles qui le suivirent.
1970. Deux ans après son assassinat, il y avait urgence à recueillir et rassembler les actes et discours de Martin Luther King. King – De Montgomery à Memphis retrace la vie et l’œuvre du militant des droits civiques et prix Nobel de la paix, de sa première action non violente en 1955, le boycott des bus de Montgomery, jusqu’à sa mort en 1968. Le film était d’abord voué à être diffusé une seule fois en simultané dans des milliers de salles aux Etats-Unis lors d’une soirée hommage et connaîtra une version écourtée destinée à la télévision.
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Pur film de montage, King charrie une matière hétérogène : séquences
de discours filmées par les caméras de télévision, documents sonores, extraits d’actualités et manifestations captées sur le vif s’enchaînent par ordre chronologique. Si les distributeurs, et on les comprend, aimaient à avancer que le documentaire fut réalisé par Sidney Lumet et Joseph L. Mankiewicz, on leur doit seulement d’avoir mis en scène les quelques séquences qui s’intercalent entre la matière brute documentaire :
face caméra, vedettes et acteurs de tous horizons (Paul Newman, Burt Lancaster, James Earl Jones) déclament des monologues tirés d’œuvres littéraires ou de discours politiques.
Au générique, Lumet et Mankiewicz sont simplement cités dans les remerciements et c’est à un certain Ely Landau, producteur de cinéma spécialisé dans l’adaptation cinématographique de pièces de théâtre, que l’on doit la conception de ce véritable tombeau cinématographique. Cette paternité discrète, seulement citée en fin de générique, est une nécessité pour Landau, qui tient à rester dans l’ombreet à faire silence pour laisser toutela place à son héros. Landau le sait, toute parole venant commenter la vie et l’œuvre de King serait superflue, malvenue.
Il fallait ce silence dévoué du réalisateur-monteur pour faire retentir la voix et les mots de cet orateur hors du commun et bouleversant qu’était le pasteur, de même qu’à la cérémonie de son enterrement l’enregistrement
de son dernier discours résonne devant un auditoire mutique, pétrifié et recueilli.
Pendant trois heures, King travaille à faire retentir cette voix pour provoquer en nous une ferveur percée d’une tristesse qui n’en finit plus de croître à mesure qu’avance le film – chacun rêvera secrètement à un dénouement moins tragique. Pour les Français que nous sommes, le documentaire aura le mérite d’arracher Martin Luther King au respect endormi des manuels d’histoire pour lui conférer la puissance qu’il mérite : celle d’un homme dont le tremblé de la voix galvanisait l’auditoire, dont les prêches enfiévrés emmenaient femmes et hommes à agir d’autant plus fermement que la cause était désespérée. La puissance et l’impact du personnage sont d’ailleurs indissociables des captations visuelles et radiophoniques réunies ici, évoquant à beaucoup d’égards une version non fictionnelle du discours final de Chaplin dans Le Dictateur.
Document précieux, King dresse tout autant le portrait d’un homme
que d’une Amérique si intrinsèquement violente que le mouvement non violent des droits civiques semble être pour le pays une provocation insupportable. Il faut voir ces visages des militants ségrégationnistes défigurés par la haine, la répression subie par les militants non violents
et les émeutes sidérantes qui accueillent la grande marche pacifique de Chicago pour prendre la mesure du courage qui traversait King et ses partisans.
Si en 1955 le boycott des bus de Montgomery portera ses fruits,
si le pasteur déclame son “I have a dream” devant un parterre survolté
de plus de 250 000 personnes, si l’espoir perce insensiblement
séquence après séquence, c’est pour amorcer insensiblement son funeste destin. Récit des batailles durement gagnées, King évoque néanmoins
ce qu’il aura fallu de peur et de sueur aux militants des droits civiques,
de découragement et de fatigue à Martin Luther King, une fatigue lucide
et lancinante qui finit par se glisser dans ses harangues qui se font de plus en plus testamentaires. Cette ombre planant au-dessus de lui semble affermir sa volonté autant qu’elle l’oblige à devoir, en public, prier les yeux ouverts pour s’éviter un drame. Placide, résolu, il confiera à un proche : “J’avais fini par admettre que j’allais mourir bientôt, j’avais accepté l’idée.”
King : de Montgomery à Memphis d’Ely Landau (E.-U., 1970, 3 h 02)
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