Avec son ami Tarantino, Roger Avary a appris la grammaire cinématographique en faisant un usage immodéré de cassettes vidéo. Mais là où son compère a décidé de bâtir ses films à partir de la lettre H comme Hawks, lui est allé jusqu’au bout de l’alphabet : ultime, son cinéma sera Z. Z comme le nom […]
Avec son ami Tarantino, Roger Avary a appris la grammaire cinématographique en faisant un usage immodéré de cassettes vidéo. Mais là où son compère a décidé de bâtir ses films à partir de la lettre H comme Hawks, lui est allé jusqu’au bout de l’alphabet : ultime, son cinéma sera Z. Z comme le nom du héros, Z comme la Zoe du titre, Z comme un sous-genre habituellement synonyme de laisser-aller et de bêtise crasse. Bien camouflé derrière ce paravent commode, Avary énonce une vraie proposition de cinéma.
Comme Tarantino donc, il a une perception fragmentaire de l’histoire du cinéma : chaque film est constitué de segments, d’intensités et de durées variables, qu’on va piocher selon l’humeur du moment et l’émotion recherchée. Immédiatement disponible, la séquence choisie sera décortiquée, critiquée et assimilée. Fatalement, elle servira aussi de base aux réalisations futures. D’où le reproche courant de stérilité artistique et d’imitation intensive qu’une critique frileuse fait à nos duettistes. Mais pour eux, chaque morceau du best-of cinématographique n’est pas pris comme un modèle parfait à reproduire. Au contraire, il s’agit de l’améliorer ou plutôt de le réduire à son idée-force, d’en faire un pur concept.
Pour aller vite, le cinéma américain de l’ère classique était conçu comme une dramaturgie basée sur une succession de moments forts et de moments faibles. Ainsi, le film et son spectateur pouvaient respirer de concert, dans un dosage subtil de temps morts et d’accélérations, jusqu’à la conclusion de l’histoire racontée. A ce cinéma de la respiration, Avary oppose avec Killing Zoe un film profondément novateur puisque bâti sur la notion d’asphyxie progressive. Ici, le plan de coupe, utile à l’unité de l’ensemble et au soulagement de la tension dramatique, est aboli au profit du raccord brutal. Chaque plan du film est bourré de sens jusqu’à la gueule et chaque séquence pensée de manière à intensifier l’action vers plus de brutalité. La chambre d’hôtel, le club de jazz et la banque nous sont présentés non comme de véritables lieux mais comme autant de cercles de l’Enfer. Ce sont des espaces mentaux où les personnages se débattent convulsivement face à leur propre instinct de mort. Très proche du personnage de Nicholson dans Shining, Anglade trouve dans cette succursale aux murs rouge sang un endroit qu’il a toujours connu : celui de sa mort. L’ultra-violence et la consommation effrénée de stupéfiants en tout genre ne sont que des tentatives désespérées pour sortir de l’enveloppe corporelle. Il s’agit non pas de vivre vite mais de mourir lentement, de rester en équilibre sur la crête avant le gouffre. Idée typiquement romantique et bien éloignée des accusations de sous-culture qui ont fleuri à la sortie du film. Cultivé, Avary l’est presque trop et son film abonde en citations picturales, de Jérôme Bosch à Francis Bacon en passant par William Blake. Pourtant, et peut-être à cause de cette abondance référentielle, Killing Zoe est un film qui tend vers l’abstrait, une fascinante cosa mentale.
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