Entre deux séries Z et quelques parodies gore, l’Etrange Festival projetait ce week-end le phénomène Kill List : un film qui pourrait bien réveiller un peu l’industrie du cinéma en Grande-Bretagne.
« Kill List peut-il redonner vie au cinéma britannique ? » La question est posée par le Guardian, quelques jours seulement après la sortie en salle (2 septembre) du dernier film de Ben Wheatley, annoncé un peu partout comme le phénomène de l’année en Grande-Bretagne. Diffusé depuis quelques semaines dans les réseaux de festivals (dont un passage, très remarqué, à l’institution londonienne du FrighFest), Kill List a suscité un engouement assez inédit pour un film britannique – confirmé ce week-end à l’Etrange Festival de Paris, où il était projeté en première française. On l’annonce même comme un probable candidat au prochain Bafta, l’équivalent british des Césars dont la dernière édition couronnait le très sérieux Discours d’un Roi.
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La sortie du film de Ben Wheatley a profité d’une conjoncture favorable au cinéma anglais qui, depuis près d’un an, cumule les réussites artistiques (Faites le Mur, Senna, Neds, Attack The Block) et succès commerciaux capables de rivaliser avec l’éternel frère ennemi hollywoodien (The Inbetweeners en tête du box-office). Mais quelque chose distingue Kill List du reste de la production britannique selon The Guardian, un élément désormais quasi indispensable à la popularité d’un film : « le buzz ». Alimenté par une campagne de marketing intense, déclinée sur le mode Blair Witch en teaser mystérieux, le phénomène Kill List a rapidement surchauffé les blogs et médias traditionnels.
Un thriller maniaque et obsédant
Le film du jeune Ben Wheatley était donc très attendu ce week-end à l’Etrange Festival de Paris, où il détonnait un peu dans une programmation réservée aux bandes Z (le projet collectif Theatre Bizarre) ou aux interminables déclinaisons grindhouse (Hobo with a Shotgun pour le meilleur). Et l’attente aura été récompensée : Kill List est probablement l’un des plus grands films de genre de l’année, un thriller maniaque et obsédant, qui ne cède rien aux modes du cinéma d’horreur contemporain (remake, torture porn, marketing gore et néo slasher). Il se situe plutôt au croisement de deux traditions très britanniques : le film social façon Ken Loach (auquel il emprunte le motif du retour d’Irak de Route Irish) et l’imagerie gothique –de la Hammer à Wicker Man.
Comme dans le film culte (et un peu surestimé) de Robin Hardy, Kill List renoue avec une forme d’horreur ésotérique : ces sociétés secrètes, rituels sauvages et vieilles croyances qui ont longtemps irrigué l’imaginaire bis du cinéma anglais. Mais ce décorum, dont on pressent rapidement la menace kitch, sert ici de toile de fond à un thriller moderne, où deux anciens militaires reconvertis tueurs à gages acceptent le contrat de trop pour une mystérieuse secte apocalyptique. Le film trouve une tension très juste entre le drame social (deux paumés au chômage, contraints de reprendre les armes pour subvenir aux besoins de leur famille) et ce climat d’horreur qu’il installe progressivement, par signes furtifs, jusqu’à une séquence finale assourdissante.
Une conclusion très ouverte (qui aura laissé quelques festivaliers hébétés), dont on devine déjà qu’elle risque de prolonger encore le buzz Kill List et la bonne nouvelle : rarement le cinéma britannique n’aura été aussi commenté. Et le film de Ben Wheatley traduit bien le renouveau en cours dans la production anglaise : une conversion tardive au marketing 2.0 ; une génération de jeunes cinéastes (Chris Morris, Banksy, Paul Andrew Williams, Joe Cornish…) issus du genre ou d’autres disciplines ; un deuil des fameuses productions transatlantiques (souvent au profit de coproductions européennes). Bref, une nouvelle jeunesse.
Romain Blondeau
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