La cinéaste revient sur la genèse du long métrage, ses sources d’inspiration et les enjeux cinématographiques auxquels elle a été confrontée.
Virginie Efira
“Après Victoria, j’ai eu le sentiment de ne pas avoir été au bout du travail avec Virginie. J’éprouvais une frustration. La fin de Victoria aurait pu être le début d’un autre film. Une photo montre Virginie au Festival de Cannes, où elle porte une robe à bustier et dégage une aura très glamour. En la voyant j’ai eu l’impression bizarre qu’elle m’avait échappé.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
J’ai repris l’idée de ce costume à la fin de Sibyl pour jouer sur ce côté glamour complètement déstructuré. Sur ce film on a dépassé une forme de bienséance et de timidité. On a pu aller dans des zones plus sombres. On se connaissait plus, il n’y avait pas d’embarras, on était très libres, j’osais lui demander n’importe quoi.
Il y a même eu des moments conflictuels entre nous. Nous avons beaucoup travaillé pour trouver le ton juste entre farce et émotion. Virginie est très forte en rythme et va naturellement vers la comédie. J’ai toujours pensé de manière erronée que pour jouer l’ivresse, il fallait tomber ou tituber, alors qu’elle m’a toujours dit : ‘Non, quand tu es ivre, il faut que tu penses tout le temps à être la plus droite possible.”
Double féminin
“Je voulais parler de ce vertige d’une femme face à une autre jeune femme, soudain confrontée à une sorte de portrait d’elle-même inversé… Opening Night de Cassavetes et Eve de Mankiewicz sont deux films qui m’ont inspirée pour cette double figure féminine.
Ce n’est pas une histoire de cannibalisation, ou de fascination pourtant, mais celle d’une codépendance trouble. Le fait de croiser une personne convoque le passé dans le présent. Je n’essaie pas de faire une analyse de Sibyl, mais de rendre possible l’idée d’une réinvention de soi.”
“Au montage, j’ai essayé d’assumer la part dramatique du film et de ne pas toujours la contrebalancer par la comédie”
Mélodrame
“Je savais dès le départ que la tonalité de Sibyl serait plus sombre que Victoria. Le film aborde le thème de l’amour perdu qui revient vous hanter. Les retrouvailles dans la fête foraine sont une citation de la fin des Parapluies de Cherbourg. C’est une chose extrêmement violente de recroiser un être qu’on a aimé.
Un autre film important qui m’a guidée dans l’écriture et lui a donné cette teinte douloureuse, c’est Une autre femme. Ce n’est pas un film de Woody Allen que j’adore mais il me hante depuis longtemps dans sa forme scénaristique : une femme fait le vide pour écrire, et finalement se retrouve à entendre la voix d’une inconnue qui va complètement la faire vriller dans son existence.
Comme si elle créait ce personnage qui allait la démolir. Au montage, j’ai essayé d’assumer cette part dramatique du film et de ne pas toujours la contrebalancer par la comédie.”
Psychanalyse
“Cette profession m’intéressait car elle incarne une forme d’ordre et d’enfermement. Mais il ne fallait pas non plus faire juste un film entre quatre murs, c’est pourquoi est venue l’idée des flashbacks qui nous ramenaient vers un passé, puis le tournage en Méditerranée. J’ai rencontré beaucoup de psys en leur demandant de me raconter à quel moment ils avaient été contaminés par leurs patients. S’il leur arrivait de perdre pied.
Cela a nourri l’écriture du film. Parfois, ce genre de personne prend beaucoup de place dans la vie d’une autre, dans une relation de codépendance. C’est ainsi que Marilyn ne dialoguait qu’avec Paula Strasberg, sur un tournage de John Huston, parce qu’il ne voulait plus lui parler ! Je me suis aussi inspirée de Sibyl, une série très connue des années 1970 et adaptée d’un best-seller, qui met en scène une adolescente en analyse.”
“On a évité le côté littéral, en cherchant plus un système d’échos”
Kaléidoscope
“La première partie de Sibyl est très mentale, la seconde est plus dans l’action. Victoria était calqué sur une forme ultra-classique alors qu’ici tout est plus déstructuré. L’histoire n’a rien de traditionnel. J’ai trouvé une liberté énorme dans la forme, dans le ton. Je voulais me débarrasser du cadre. Le film est construit de manière très particulière en forme de kaléidoscope.
On a évité le côté littéral, en cherchant plus un système d’échos. Ce sont des scènes qui se cognent et par ces chocs révèlent des choses. Sibyl tourne autour de la création, de l’amour de la création et du cinéma. Il y a aussi le tournage dans le tournage… Je me suis inspirée de pas mal de films, comme Quinze Jours ailleurs de Vincente Minnelli. L’univers est construit en puzzle et mélange des bribes du passé au présent.”
Stromboli
“Comme mon personnage est assez mental, il fallait le catapulter dans l’action. Mais au moment où il entre dans la vie, il met les pieds dans une sorte de fiction ! Le Stromboli crée une sensation de vertige, un lieu plus grand que la vie. Il incarne quelque chose qui a trop de sens, avec les métaphores autour du volcan… C’est un vrai décor embrassant, de cinéma, irréel. C’est très compliqué de tourner là-bas.
On m’a dissuadée d’y aller, pour des raisons financières ; on a songé à la Corse, mais je voulais un endroit mystique, iconique, avec le côté too much de cette réalisatrice qui vient tourner un film sur les traces de Rossellini. Heureusement, deux coproducteurs sont venus à la rescousse, Marie-Ange Luciani et Jacques Audiard.”
Tribu
“C’est la première collaboration avec mon compagnon, Arthur Harari (réalisateur de Diamant noir – ndlr). Il joue le rôle de l’autre psy de Sibyl. Et notre fille aussi a un petit rôle… Sans chercher absolument à travailler avec mes proches, ou montrer ma progéniture, j’avoue que cela m’arrange…
J’ai une conception de la vie de couple anticonformiste, alors si on peut partager un truc qui nous élève un peu, je trouve ça chouette d’en profiter. Ça simplifie la vie. Et dans l’écriture, je trouve très important d’être avec quelqu’un avec qui on peut parler librement.
Aurélien Bellanger (auteur de L’Aménagement du territoire, ndlr) est un ami proche et joue aussi dans mes deux films, parce qu’il amène quelque chose de plus étrange que les acteurs. Un truc de logorrhée très drôle.”
{"type":"Banniere-Basse"}