Entre teen-movie et film de superhéros, une partie de cache-cache téléportée aux quatre coins du monde assez réjouissante.
Dans un vieux clip de Janet Jackson (Runaway, 1995), la chanteuse s’élançait du sommet du Golden Gate de San Francisco et opérait un tour du monde en quelques enjambées, reprenant toujours son élan sur un monument célèbre (la tour Eiffel, la tour de Pise, le Taj Mahal, l’Opéra de Sydney…). Les trucages numériques permettaient d’intégrer Janet à ces fonds de cartes postales, mais il fallait encore prendre le temps de filmer le bond, le corps de Janet propulsé dans les airs.
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Dix ans après la généralisation d’internet, et l’accessibilité de tous les points du planisphère en un simple clic, Jumper peut se permettre de supprimer la distance à parcourir. Il n’y a pas vraiment de jump dans Jumper. Le monde y est réduit à un ensemble de pages d’accueil au profil de cartes postales (le héros, un garçon doué de téléportation, parle de chacun d’eux comme de ses “sites”), mais, dépliées, elles ne constituent nullement une cartographie. Elles sont autant de pages informatiques, reliées par des liens simultanés, anéantissant tout trajet. Le cinéma, fenêtre sur le monde, professait-on autrefois. Jumper est plutôt le film d’un monde envisagé comme une succession de fenêtres (dans l’acception informatique du terme).
La séduction du film de Doug Liman, drôle et léger comme une plume, tient à cette façon de faire un sort à la question de l’espace. Et du coup, celle du montage. Et aussi de la morale. Adolescent, David Rice (Hayden Christensen, dont le rôle du jeune Dark Vador dans les derniers Star Wars, voile d’ambiguïté toutes les prestations) a découvert la possibilité de se téléporter. Il en profite immédiatement pour quitter sa famille, dévaliser une banque et mener une vie oisive et fortunée, entre loft new-yorkais, surf à Hawaii immédiatement suivi d’un brunch à Louxor.
David n’a rien d’un superhéros, son pouvoir est simplement l’instrument d’une jouissance personnelle, d’un hédonisme militant, qui métamorphose le monde en une sorte de paradis consumériste où il se sert gratuitement. Mais les plans de cet Arsène Lupin d’un monde métamorphosé en super-web sont contrariés par un redoutable chasseur de jumpers, Roland, outragé par l’impunité et la désinvolture de ces hackers du monde réel. C’est à l’acteur Samuel L. Jackson que revient d’incarner ce retour de la morale (présentée comme un intégrisme), qui est aussi un retour du cinéma dans l’espace labile du jumper. Roland veut fermer le cadre, crucifier David dans le plan et réintroduire du contrechamp, du duel, de l’ordre.
Le film transforme en matière visuelle parfois saisissante cet affrontement entre une vision organisée (architecturale, cinématographique) des espaces et sa désarticulation en un clic. Une lutte aux poings entamée au Tibet se déverse en Tchéchénie, puis en Amérique, comme un diaporama convulsif. Mais si tous les espaces sont poreux, la plus belle trouvaille du film figure une résistance du solide. A chaque glissement spatial, un mur se fendille, un ondoiement fait vibrer l’image comme un reflet. Même dans un film qui rêve d’abolir toutes les frontières du cadre, rien n’est plus cinégénique qu’un petit accident de la matière, une trace.
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