Avec son second long métrage “About Kim Sohee” inspiré d’une histoire vraie, July Jung interroge le rapport de la jeunesse au travail sous le prisme des fameux “stages de fin d’étude”.
Film de clôture de la 61e édition de la Semaine de la critique à Cannes en 2022, About Kim Sohee révèle une actrice (Kim Si-eun, qui joue Sohee), et en consacre une autre, Bae Doo-na (Sympathy for Mister Vengeance, The Host, Sense8). Cette dernière y incarne Yoo-jin, une inspectrice de police irritée contre un système injuste. Interview (avec spoilers) avec la réalisatrice July Jung (A Girl at My Door).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le film parle si bien d’un problème qui concerne la jeunesse que l’on aurait pu croire qu’il était réalisé par une jeune cinéaste, tout juste sortie d’école. Pourquoi avoir choisi d’aborder la question du travail à travers celle des stages ?
July Jung – On m’a proposé de faire un film sur une histoire survenue fin 2016 à Jeonju, une petite ville de Corée du Sud (le film s’inspire d’un fait divers sur le harcèlement qu’a subi une étudiante au cours d’un stage, ndr). À l’époque, je croyais ne pas connaître cette affaire. Et puis je me suis rendu compte que j’avais déjà entendu des informations sur la mort d’étudiants, dans des cas similaires. À ce moment-là, je me disais que cela n’avait rien à voir avec moi. Puis en faisant ce film, j’ai compris que je faisais partie de ce système et que je n’avais rien fait. Je me suis dit que, moi aussi, je l’avais laissé faire.
Ce que vous dites, c’est aussi ce que ressent Yoo-jin, le personnage de la policière interprété par Bae Doo-na.
(En français) Oui ! C’est vrai que j’ai ressenti les mêmes choses que mon personnage au cours de la seconde partie du film, parce que c’était quelque chose que j’ignorais complètement. À travers le personnage de Yoo-jin, je voulais souligner le fait qu’il y a eu des gens qui ont lutté contre. Des journalistes ont voulu régler cette affaire et le problème de la formation professionnelle de manière générale. Il y a aussi eu des activistes travailleurs et la famille des victimes. À travers Yoo-jin, je voulais témoigner mon respect pour ces personnes. Quand ce fait divers est survenu, c’était en plein milieu du procès en destitution de Park Geun-Hye, la Présidente de la république. Alors que toute l’attention était focalisée sur ce sujet, certaines personnes ont tout fait pour révéler cette affaire au monde.
Dans About Kim Sohee comme dans votre film précédent A Girl at My Door, les personnages d’inspectrice joués par Bae Doo-na sont très humains, ils ne mettent pas leur mission à distance. Comment avez-vous travaillé cet aspect du personnage de Yoo-jin ?
Vous avez complètement raison. On a toujours en tête ce cliché selon lequel la police serait froide. Il me semblait important de travailler sur cette image ancrée dans le cerveau du public, pour créer ce personnage. Pour moi, c’est avant tout un métier, Yoo-jin travaille pour la police, et je me demande ce qu’elle va faire dans cette situation.
Dans A Girl at My Door, About Kim Sohee et dans Les Bonnes étoiles de Hirokazu Kore-eda, Bae Doo-na interprète une policière. Elle semble abonnée à ce rôle…
La première fois que Bae Doo-na a joué un rôle de policière, c’est dans mon film A Girl at My Door, je suis la première (rires) ! Il y a une série coréenne très connue et disponible sur Netflix, Stranger, dans laquelle elle joue également une policière, et beaucoup pensent qu’elle joue ce genre de rôle pour la première fois dans cette série à succès. Cette question nous a beaucoup été posée en Corée, à Bae Doo-na et à moi. Je l’ai entendue répondre une fois qu’elle avait l’impression que les réalisateurs lui donnaient ce genre de rôle pour parler à travers elle (rires). Quand Bae Doo-na a demandé à Kore-eda quel genre de personnage elle jouerait pour ce film, il lui a répondu “un personnage comme moi” !
Dans mes deux films, je lui ai donné deux rôles de policière, mais ce ne sont pas des personnages typiques, ils sont à la fois complexes et tout à fait normaux. Je voulais étudier comment réagirait une personne normale s’il lui arrivait une telle affaire au travail, parce qu’en tant que policière, on accède à des choses interdites au reste de la population. Le personnage de Yoo-jin est compliqué, presque incompréhensible, parce qu’elle est à la fois fatiguée et très active. Je tiens à travailler avec Bae Doo-na, parce qu’elle comprend mes scénarios presque mieux que moi-même. Elle capte immédiatement mes intentions, saisit l’essence du scénario. Il y a un esprit de camaraderie entre nous avec lequel je peux travailler très facilement, à qui je peux faire confiance.
L’actrice Kim Si-eun (Sohee) est une révélation. Sa séquence de danse en ouverture du film est sans doute la plus belle scène du film (une chorégraphie qui revient à la fin). Qu’est-ce que signifie la danse pour vous ?
La danse est pour moi un dispositif permettant de souligner qu’évidemment Sohee est vivante. Le film montre comment cette fille, si vivante, se délabre. Une fois morte, l’histoire vit avec cette absence. À la fin, j’espérais qu’en remontrant cette scène, l’émotion provoquée soit la dernière dans le cœur du public. En même temps qu’elle émeut, la scène rappelle que Sohee est morte.
Et la scène change notre regard sur le film : on aurait pu le penser désespéré, sans espoir. Placée à cet endroit précis, elle mélange le tragique et l’optimisme.
J’ai fait tout le reste du film pour cette dernière scène ! Parce qu’en regardant cette jeune fille si heureuse après avoir réussi sa chorégraphie, il est extrêmement douloureux de se rappeler qu’elle est morte. En même temps, il y a quand même Yoo-jin qui regarde cette image, elle qui a fait tellement de choses ressent malgré tout de l’impuissance et de la tristesse à ce moment-là. Mais elle est là… donc c’est un peu comme un cadeau que Sohee fait à Yoo-jin pour la remercier.
Comment le film a été accueilli en Corée ? On dit qu’il a même fait avancer la loi…
La plupart du public coréen a vu le film en connaissant le drame d’origine. C’était dur, car ce film parle de nous, c’est un portrait de notre société. Les spectateurs adultes se sentent coupables d’avoir laissé mourir une partie de sa jeunesse. Les jeunes, quant à eux, compatissent énormément et cherchent à se solidariser, pour ne pas se laisser faire. Il y avait une loi qui avait été proposée, et qui a été suspendue pendant des années. Grâce à ce film, elle va bientôt être reproposée, elle a été accélérée par le film. Et cette loi s’appellera “Loi de protection Next Sohee”.
Propos recueillis par Nicolas Moreno
About Kim Sohee de July Jung en salle le 5 avril
{"type":"Banniere-Basse"}