Trois films à l’affiche ce mois-ci pour la plus modeste et attachante des actrices, capable de transformer une interview en séance d’autoflagellation.
Depuis une dizaine d’années, Julie Depardieu a creusé son sillon, tournant de plus en plus, enchaînant sans calcul et dans le désordre premiers et petits rôles dans des courts (Le Lion volatil d’Agnès Varda) ou longs métrages, dans des films « d’auteurs » (dont deux de Danièle Dubroux et Les Destinées sentimentales d’Olivier Assayas) ou des films à volonté commerciale (Peut-être de Cedric Klapisch ou Un fil à la patte de Michel Deville), alternant rôles comiques et dramatiques, pour le cinéma comme pour la télévision (quasiment tous les Josée Dayan depuis 1996).
Depuis La Petite Lili et les deux César que lui a valu son interprétation dans le film de Claude Miller (meilleure révélation féminine et meilleur second rôle féminin, en 2004), sa « carrière » semble être passée à la vitesse supérieure. Elle tourne maintenant parfois dans des blockbusters français (Podium de Yann Moix ou Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet). Quelle que soit la qualité de ces films, Julie s’en sort toujours avec les honneurs. Trois films dont elle est l’interprète sortent coup sur coup ce mois-ci : Toi & moi, une jolie comédie roman-photo de Julie Lopes-Curval dans laquelle Julie pétille, Essaye-moi de l’ex-Robins des Bois Pierre François Martin-Laval, une comédie régressive sur les écrans cette semaine, et le beau film dramatique d’Eric Caravaca, Le Passager, la semaine prochaine. Un triplé qui nous a semblé mériter une rencontre.
Julie Depardieu, la petite trentaine, jolie comme un c’ur, est ce jour-là habillée en titi parisien, tout en camaïeu vert pistache, qui s’accorde parfaitement à ses yeux et à sa blondeur. Avec elle, un poste de radio branché sur Radio classique. Pendant la séance photo et l’interview, elle testera ses connaissances dans un blind-test dont elle connaît toutes les réponses. Vive, enjouée, professionnelle (elle interrompra cet entretien pour cause de séance chez son psy, mais tiendra à ce qu’il se poursuive dans la foulée), elle passera tout le temps de l’interview à me demander si elle ne dit pas trop de conneries, et je répondrai sans cesse que non, sans être sûr qu’elle me croie vraiment. Elle a tort.
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Julie Depardieu – Je voudrais que tu m’excuses auprès des gens qui ne m’aiment pas d’être un peu trop présente pendant trois semaines. Moi-même, je m’auto-énerve. Donc j’imagine… (Elevant soudain la voix, comme si elle s’adressait à ce public imaginaire) Mais ça va passer ! La roue va tourner ! (Rires)
Tu voulais devenir comédienne ?
Non, je ne voulais pas. Vu l’endroit d’où je viens, je me disais : « La place est occupée. Je ne vais quand même pas me fourrer là où c’est déjà pris. » Mais je me suis aperçue que ça me plaisait. J’aime quand on attend quelque chose de moi, parce que moi je n’attends rien de moi. J’attends juste de ne pas trop me décevoir à l’heure de ma mort. Mais entre-temps ? J’essaie de faire ce qu’on attend de moi. (Son téléphone sonne, elle répond, on lui demande de faire une télé, elle hésite, dit oui en renâclant, demande qui sera dans l’émission avec elle, et s’il est possible qu’elle ne reste pas des heures à attendre son tour de parler. Elle raccroche). La télé, je pense qu’il y a des gens qui ne doivent pas y aller. J’en fais partie. On s’ennuie beaucoup, on s’angoisse, tout se voit, donc j’ai l’air et je mets mal à l’aise. Quand on rentre chez soi, après l’émission, on se sent bouseux.
Donc, la télé, tu n’aimes pas ?
Même quand ce ne sont pas des questions sur mon père ou sur mon frère, même quand c’est sur moi, ça ne m’intéresse pas. Parce que je suis toujours dans la justification, dans l’excuse. Madame de Lafayette l’a dit : « Se justifier, c’est s’accuser ! » S’expliquer, c’est compliqué, je me filerais deux baffes ! Autant rester chez soi ou faire de la presse avec des gentils interviewers qui ont fait du violon (Rires) !
Mais ceux-là aussi peuvent te poser des questions qui ne te plairont pas… Tu ne te sens pas légitime ?
Je suis la fille de quelqu’un qui a fait beaucoup fantasmé, rêvé, qui a eu beaucoup d’ambitions. Et moi, je n’ai pas le fantasme des gens vis-à-vis de lui. Moi, c’est juste mon père, que je n’ai pas considéré comme un père. Il nous a eu très jeune, il faisait cinq films par an, en étant parfois dans des états très extrêmes…
Tu fais aussi cinq films par an.
J’en ai fait dix. (Silence)
Tu penses qu’il était vraiment ambitieux ?
Moi, je n’ai pas envie de bouffer le monde ! Ce qui me consterne, c’est qu’il faut toujours que je m’excuse de ne pas avoir eu ce rêve ! Plein d’acteurs racontent qu’à 5 ans ils se rêvaient acteurs, moi je n’ai pas eu ça.
En dehors de tes parents, tu devais en voir, en connaître plein, des acteurs, quand tu étais enfant !
Je n’étais pas trop en contact avec eux. Ceux que je connaissais me faisaient peur, et leur métier aussi. Je ne voulais pas être prof de philo, mais je voulais écrire. J’écris très mal, même une carte postale, j’ai très peur. Ma passion, c’est vraiment la musique.
Déjà petite ?
A 16 ans, j’aimais beaucoup Led Zeppelin, AC/DC, et je suis passée directement à Don Giovanni ! Un choc, une révolution esthétique ! a fait quinze ans. Une passion ! Quand tu trouves ton compte dans le fait d’être une oreille géante, tu as envie de faire autre chose que d’être une oreille, même si je trouve ma place en tant qu’oreille. De même façon que la vraie passion de Maurice Pialat, que j’idolâtre, était la peinture, et il faisait du cinéma.
Tu l’as bien connu, Pialat ?
Oui. C’est une personne qui traversera le temps. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Ses films sont des chocs. La Maison des bois est une expérience hallucinante ! Je ne suis pas une grande cinéphile, mais quand je vois un film, je ne peux pas m’empêcher de voir le « Partez », le « Action ! », avec l’acteur qui essaie d’incarner. Chez lui, tu ne vois jamais ça. Tu vois quelqu’un qui aime. Je l’ai connu de loin (je connaissais surtout sa femme, Sylvie, que je vois toujours), mais j’avais une admiration sans bornes pour lui. Souvent, quand tu respectes les gens à ce point-là, tu ne peux pas le dire. Mais c’est pas grave. C’est une personne que j’ai beaucoup aimée, même dans la vie. Pour moi, c’est le plus grand. Quand je vais au cinéma, c’est exactement ce que j’ai envie de voir. J’aime aussi beaucoup Haneke. Je n’ai pas envie d’être divertie. J’ai envie d’être au centre d’une chose qui m’intéresse, c’est-à-dire d’un regard porté sur les gens.
Tu crois à la composition ?
Je ne suis pas s’re. J’y crois pour les acteurs américains. Ils se donnent les moyens de croire à leur mensonge énorme : « Je suis quelqu’un d’autre. » En France, on n’a pas le même esprit, on a du mal à y croire, on garde une distance. C’est très difficile de faire semblant, de changer ce qu’on est.
En même temps, dans les trois films qui sortent, tu n’es pas la même !
Oui, mais en même temps, toi, tu n’es pas le même quand tu parles avec moi et quand tu parles avec ta femme, quand tu demandes du pain, quand tu parles à tes parents… Je ne suis pas la même avec toi et quand je passe à la télévision avec un balai dans le cul ! On a tous 10, 30, 60 facettes. Et le jeu, c’est d’essayer d’en trouver une.
Donc, tu composes un peu !
Oui, mais c’est toujours proche de moi. Je n’ai pas la technique. J’apprends. J’ai l’envie. Pas de bouffer le monde, mais de ne pas décevoir. De ne pas me décevoir, ça c’est impossible, mais c’est pas grave ! Si tu me regardais avec mes yeux, tu ne m’adresserais même pas la parole ! (Rires)
Pourtant, tu as des retours positifs de la part du public, de la profession…
a sert à rien. Les César, pour moi, ça a été très violent, j’ai mis deux mois à trouver ça normal. En plus, il y avait un mec, gna-gna, sur la scène, que je connaissais… Je me suis dit, mais c’est pas vrai, pourquoi moi ? Je pensais honnêtement que je le méritais moyennement. a m’a violentée. Autant, j’admets la critique, mais qu’on me dise : « Tu m’as ému » ! C’est une surprise. J’ai mis du temps pour comprendre que c’était un encouragement. En fait, comme je ne m’appelle pas Durand, j’ai du mal à croire qu’on puisse bien m’aimer. C’est bizarre, non ?
Dans Elle, cette semaine, tu es quand même classée comme la 58e femme préférée des Françaises !
Je pense que les gens ne me connaissent pas et que, s’ils me connaissent, ils ne m’aiment pas.
Revenons à la composition. Quand j’ai vu Toi & moi, je me suis dit : « Là, Julie Depardieu ressemble au personnage qu’on s’imagine qu’elle est. » Ce qui n’est pas le cas dans les deux autres films.
Oui, peut-être que le personnage me ressemble. Mais je me débrouille toujours pour que le personnage devienne un tout petit peu moi. Les scènes où je me reconnais totalement, ce sont les scènes d’engueulade.
Dans Le Passager d’Eric Caravaca, tu joues le rôle d’une femme qui souffre, mais qui a aussi des responsabilités à assumer, un restaurant à tenir, un filleul à élever, etc. Tu es très différente dans Toi & moi, où tu parais plus légère, et dans Essaye-moi, où tu joues une petite bourgeoise.
J’aime beaucoup le Caravaca, on ne dirait pas un premier film, c’est un beau film, il y a une cohérence et une cohésion, et puis ce jeune acteur qui m’a retourné, Vincent Rottiers. Mais la fille avec son gilet bleu au fond du cadre (elle parle d’elle, bien s’r), j’ai envie de la gifler ! (Elle s’aperçoit qu’il est l’heure de se rendre à sa séance chez sa psy. On se retrouve une heure plus tard dans un café, en face d’Europe 1).
Tu tournes dans le prochain Téchiné ?
Le tournage commence le 3 avril. Le scénario est magnifique ! L’histoire, en 1985, d’un jeune homme qui va tomber malade du sida. Je n’ai que quatorze jours sur le film, mais il m’aurait proposé le rôle d’une chaise, j’aurais accepté !
Et le film sur Rimbaud et sa s’ur que tu dois tourner avec ton frère ?
Apparemment, ça se ferait cet été, réalisé par François Dupeyron, d’après Les Jours fragiles, le livre de Philippe Besson. Et c’est vrai qu’il y a une connivence entre les douleurs de Rimbaud et celles de Guillaume – cette jambe, ce mal-être et cette envie de choquer. Après, on peut dire qu’il y en a un qui est poète et pas l’autre…
Dans Le Monde, tu as déclaré que c’était dommage, lors de la remise des César 2006, qu’on n’ait pas laissé la parole aux intermittents qui tentaient d’intervenir.
Oui, ça m’a choquée. Je pense qu’on est tous dans le même bateau, nous les intermittents. Je n’ai pas les solutions, mais je pense qu’on doit se rapprocher de ceux qui gueulent aujourd’hui. On sera peut-être comme eux demain. Je ne suis pas une militante, mais je me sens de gauche.
Mais tu ne l’exprimerais pas comme ton frère qui, sur le plateau de Canal+ que venait de quitter Sarkozy, a demandé à Denisot s’il ne trouvait pas que ça puait ?
Ah non, non. Même si Sarkozy me choque. Mais je ne ferais pas comme Guillaume… Parce que j’ai quand même du respect pour les gens qui essaient de trouver des solutions. En même temps, je trouve que les acteurs, moi la première, devrions la fermer, et bien souvent, et ne pas nous exprimer sur des sujets auxquels nous ne connaissons rien. C’est pour ça qu’au lieu d’essayer de briller, je préfère parler de ma vie, de mes plantations dans mon jardin.
Tu fais pousser quoi ?
Des légumes et des fleurs. J’adore ça. Et puis quand tu fais des erreurs, la plante ne te traite pas de connasse ! Et j’ai quatre poules, que j’ai confinées depuis trois semaines. Quand tu n’as pas d’enfants comme moi – je n’en suis pas encore là : pour moi, avoir des enfants, c’est préparer son propre cercueil -, il faut bien meubler ce putain de temps.
On parle toujours de ta famille proche, mais est-ce qu’il y a une personne, dans ta famille, qu’on ne connaît pas, qui aurait eu autant d’importance que tes parents ou ton frère ?
Ma tante, la s’ur de mon père. Qui est quand même la seule à avoir refusé les avances de Pialat qui voulait la faire jouer. Elle est unique, pure, mignonne, tellement bonne. En fait, j’ai deux mères, un grand frère et pas de père. Elle habite en face de chez moi, fait du secrétariat à mi-temps pour les affaires de son frère, s’occupe de sa famille, n’a pas d’ordinateur et tape tout à la machine à écrire. Quand j’étais enfant, je l’aidais à faire le courrier, à envoyer les autographes aux fans. Il y avait un tampon avec écrit « Amitiés, Gérard Depardieu ». Et je me disais : « Mais ils vont en faire quoi ? C’est quand il sera mort que ça va valoir de l’argent ? » a me dégoûtait. Mais, ma tante, il faut la voir ! Elle est drôle ! (Une pause) Et elle est… rassurante.
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